Editions Picquier poches, 2005
mercredi 15 avril 2015 par Alice GrangerPour imprimer
La romancière japonaise Kawakami Hiromi raconte dans ce roman une amitié amoureuse étrange, hors du temps, entre un ancien professeur de japonais et son ex-élève qui se retrouvent par hasard trente ans plus tard. « Les années douces » nous offrent une leçon inédite, qui pourrait révolutionner les rapports entre homme et femme. Ici, quelque chose d’autre s’inaugure, s’invente, hors des rôles convenus. C’est très beau, très délicat, très fin !
Tsukiko, la narratrice, semble avoir attendu sans le savoir, ayant vécu jusque-là un peu ailleurs, sans se marier, et résistant à être comme les gens de sa génération. Après coup, sa vie jusqu’à ces retrouvailles paraît être restée en suspension, comme si elle devait encore saisir et rattraper de justesse une autre histoire à vivre avant que cet homme-là disparaisse. Jusque-là, elle ne peut pas être vraiment de sa génération, semblable aux gens de son âge qui sont, eux, installés dans une vie normale, mariage, travail, distractions, et ne recherchant rien d’autre. Tsukiko, elle, manifeste sa résistance à la normalisation installée en allant régulièrement dans ce troquet où elle retrouvera un jour « le maître » comme elle le nommera vite, Matsumoto Harutsuna, pour boire, grignoter, toujours seule. La rencontre se produit à l’endroit où, depuis longtemps, elle vient se mettre à l’écart. Très vite, se produit une sorte de reconnaissance de part et d’autre, l’ex-élève s’aperçoit que c’est ça qu’elle attendait, et le maître aussi. Car, comme Tsukiko s’est déjà mise à l’écart, libre de tout engagement de vie, résistante, le maître aussi est libre, sa femme l’ayant quitté et étant morte quelques années après. Il y a une sorte de résonance et de gémellité entre le style de vie de chacun d’eux : une vie suspendue, ailleurs, en recherche de quelque chose qu’ils ne pouvaient nommer, en attente dans ce troquet. D’une certaine manière, c’est leur résistance réciproque à tout le reste, qui se manifeste par leur présence dans le troquet, à boire et à grignoter en solitaire presque chaque jour, qui conduit à la rencontre. Leur histoire, qui deviendra avec le temps une vraie histoire amoureuse, va permettre à l’ex-élève de rendre sensible, visible, racontable, sa sensation de toujours d’être autre, singulière, loin d’un traitement générationnel de masse. Un temps va s’ouvrir, le regard de cet autre qu’est le maître va la voir, la taquiner, la rechercher, la faire devenir autre, et en même temps la nature va prendre toute sa beauté comme si l’accès au présent, au maintenant, était devenu possible, comme si enfin elle et lui avaient le temps de voir les couleurs, les fleurs, les oiseaux, les champignons, la nature environnante. Comme si chacun d’eux avait le temps de voir vraiment les gestes de l’autre, sa sensibilité particulière. Comme si le plaisir de manger grandissait en délicatesse. Comme si l’ivresse venant avec les bouteilles de saké vidées ensemble et chacun les siennes devenait l’ivresse de vivre.
Une aventure poétique aussi, qui offre un miroir différent dans lequel, à la suite de son maître en train de reprendre avec elle un enseignement devenu de vie et de qualité, elle se voit autre. Cette autre qu’elle sentait être, sans se voir nulle part. Certes cet ex-professeur, désormais septuagénaire, pourrait sembler de la génération d’un père pour cette ex-élève quadragénaire. Mais c’est aussi un autre, qui est libéré lui-même de tout rôle social, qui vient à sa rencontre en se laissant voir à elle en train de vivre avec ses cinq sens, buvant la vie, grignotant et mangeant la vie, jouissant des fleurs, des merveilles de la nature, de la douceur des promenades. Avec le maître, Tsukiko, qui résistait à s’identifier à ce que devait être une femme, mariage, enfant, vie sociale, va pouvoir s’identifier à cet autre qu’est le maître, qui la précède d’une génération, et qui semble avant de partir définitivement s’attarder pour lui transmettre une qualité du vivre en le vivant avec elle. La merveilleuse histoire qui s’écrit est une joie de vivre, simple, poétique, attentive, délicate, avec cette touche de tristesse parce que le maître est proche de son départ.
Le maître l’attendait sans savoir, elle l’espérait sans savoir, ils se sont retrouvés, il l’a introduite dans cet autre espace où nous prenons le temps de vivre. C’est la dernière leçon du maître, nous le sentons, il est déjà un vieil homme, son départ est par la force des choses annoncé, et pourtant ce qu’il enseigne à son élève, qui est aussi son amour, est la leçon par excellence, leçon de qualité du vivre, qu’il lui a donnée juste en vivant.
Ce roman est donc une magistrale leçon sur la résistance au traitement de masse des humains. Cette humaine-là, Tsukiko, était une résistante au traitement de masse qui précipite dans la reproduction et la consommation, une résistante à l’aspiration à vivre comme ceux de sa génération, à être la même qu’eux, et à suivre le destin convenu d’une femme. Instinctivement, elle s’était mise à la frontière, attendant elle ne savait quoi, longtemps, jusqu’à la quarantaine. Le fait que quelque chose d’autre se fit attendre ne put jamais la faire accepter d’être comme tout le monde.
Donc, une autre histoire, comme rattrapée de justesse, et à l’improviste, commence entre eux. Alors qu’ils sont libres de tout lien. Disponibles à l’autre histoire. « … je me suis retrouvée à côté de lui dans un petit troquet près de la gare… » Ils ont les mêmes goûts pour les petits plats qu’ils commandent pour accompagner le saké ou la bière. « Sans pouvoir détacher mes yeux de lui », stupéfaite qu’il sache encore le nom de son ancienne élève, elle « reste confondue par la similitude » de ses goûts « avec ceux de ce digne vieillard ». Tsukiko, qui ne se souvient pas encore de son nom, l’appelle « le maître ».
Puis, sans jamais se donner rendez-vous, ils se retrouvent dans le même troquet, pour manger les mêmes amuse-gueules, pour boire du saké. « Il faut croire que notre manière de fréquenter l’autre s’articule aussi sur le même rythme, une correspondance de plus. » Les récits aux airs de nouvelles sont très fins, très vivants, très poétiques. L’élève et le maître se sont retrouvés dans une sorte de paradis commun jamais vraiment quitté, un ailleurs, un autre temps, une autre scène. Comme une scène interdite à un père avec sa fille, mais là miraculeusement possible, par la transposition dans une histoire entre un vieil homme et une femme quadragénaire l’aspect incestueux est balayé. « Les années douces » s’écrivent et se vivent comme le paradigme de la vie de qualité, celle qui se vit en vivant dans le maintenant, qu’une très différente incarnation du père offre avant de disparaître. La vraie vie, ce sont ces années douces, qui joueront comme un paradigme ensuite peut-être, pas une vie à la botte du traitement de masse.
Le vieil homme n’a plus de femme, une figure qui aurait pu suggérer la mère a disparu, avec ce qu’elle signifie comme cadre oedipien et comme incitation à la normalisation. Ils ont quelque chose à vivre, qui commence avec la coïncidence des rencontres non programmées, et des goûts. C’est avec une très grande lenteur, et quelque chose de très aléatoire, que l’étrange amitié va virer à une relation amoureuse juste avant que tout s’évapore, se défasse avec la disparition du maître. L’âge du maître inscrit sa prochaine disparition. C’est pour cela que nous avons l’impression que la jeune femme attend cette rencontre, l’espère, la recherche, la saisit comme si elle se dérobait déjà, tout en sentant que rien ne compte hormis cette étrange idylle. « plus de trente années nous séparent, pourtant je me sens infiniment plus proche de lui que de certains de mes amis qui ont le même âge que moi. » Ils font parfois ensemble la tournée de trois ou quatre endroits pour boire du saké, de la bière, jusqu’à l’ivresse.
Ensemble ils boivent, ils mangent, ils regardent et écoutent la nature, ils sont dans les détails, dans les instants, dans les éclosions, dans les surprises. Tout est finesse, les sens sont en éveil : « Tiens, voilà la lune qui monte ! » Les petits biscuits d’Akita sont piquants et vont bien avec le saké. « Dans les branchages des arbres, on entendait un battement d’ailes. Des oiseaux ? … Est-ce qu’il y aurait un nid ? » Elle va lui rendre visite chez lui. Se tisse une familiarité étrange, le maître la laisse entrer dans son univers, mais il reste toujours de l’altérité. Un père avec sa fille ? Un peu de ça, et autre chose, autrement. On se dit en lisant : elle ne pourra le laisser partir pour toujours que s’ils vivent ensemble quelque chose d’inoubliable ; il ne peut se résoudre à partir que s’il lui laisse la mémoire d’une belle histoire vraiment vécue, qui continuera autrement, inséparables.
Bizarrement, nous nous disons en lisant qu’il y a entre les lignes de ce si délicat récit quelque chose de la séparation annoncée et de quelque chose à vivre intensément et dans le moindre détail poétique pour qu’elle puisse ensuite le laisser aller. Cette fille qui ne vivait pas comme tous les gens de son âge était en vérité en quête de celui qui n’était pas encore parti, et avec lequel devaient se vivre d’inoubliables retrouvailles, les cinq sens en alerte, afin de mieux pouvoir le laisser aller car il restera comme vivant paradigme. Il y a une sorte de faim sensitive qui la pousse vers lui, et vice-versa. L’oralité est bien sûr convoquée : boire, manger, ils se retrouvent pour ça. Mais aussi regarder, écouter. « le maître a versé tel quel le thé dans les tasses qui avaient servi à boire le saké, puis il a caressé avec tendresse le vieil objet. » Chaque description est intense, poétique, ciselé. Le maître dit un poème, tandis que « L’éclat de la lune devenait de plus en plus intense. »
Rendez-vous dans un marché. Aussitôt, la nature devient un paradis, avec les paroles du maître : « Ces ormes sont vraiment luxuriants. » La jeune femme se laisse guider dans ce paradis. « C’était une chaude journée d’été, mais l’humidité n’était pas très élevée… Le maître portait un panama, avec une chemise imprimée à manches courtes de couleur sobre. » De petites touches, et nous voilà introduits dans cet ailleurs incroyable dans lequel à partir des retrouvailles Tsukiko est entrée. Le maître dit : « Tsukiko, on a l’impression en vous voyant manger que vous avalez quelque chose de délicieux ! » Le regard du maître a quelque chose d’un regard paternel s’émerveillant devant sa fille, la scène semble appartenir à un autre temps. Puis, sur ce marché, le maître décide d’acheter deux poussins, un mâle, une femelle. « C’est parce qu’un poussin tout seul, c’est triste. » Le récit semble du coup nous faire entendre un autre aspect de cette rencontre arrachée au temps, la rencontre entre garçon et fille par-delà l’apparence du vieil homme et de la fille. Le vieil homme a quelque chose de très jeune, le poussin évoque le petit garçon qui a voulu en avoir un, en même temps qu’une petite fille aussi aurait eu le sien.
Ils peuvent pendant des semaines être au même moment au troquet, à boire du saké chacun de son côté, sans se dire un mot. Il y a juste cette petite touche, cette sensation si intense d’être dans le même lieu, et silence. Pas besoin de parler. Savourer ces instants. Se regarder à la dérobée, l’air de rien.
« … je me rends compte que tout ce que je faisais jusque-là, c’était avec le maître, lui seul. » En vérité, elle était depuis longtemps avec lui. Invisible. Avant de le rencontrer réellement « J’étais seule. Seule je prenais le bus, seule je déambulais dans les rues, seule encore je faisais des courses, seule toujours j’allais boire… Quel est ce besoin qui ne me lâche pas de rechercher sa présence ? … quand je suis avec lui, j’ai l’impression de vivre quelque chose d’authentique. »
« Moi, j’ai continué à compter les étoiles en marchant à sa suite. » Ses yeux s’ouvrent dans le sillage du maître. La nature se poétise. Elle intègre en elle la sensibilité et l’intelligence du maître. Elle devient une autre. Jusque-là elle résistait, elle ne voulait pas devenir la même que les gens de son âge, avoir un destin déjà écrit. Désormais, avec le maître, au rythme de rencontres qui ne sont souvent pas des rendez-vous, elle éclôt, en même temps elle affirme face au maître une espièglerie parfois mal élevée juste pour faire un clin d’œil à une différence d’âge qui s’efface et se creuse en même temps.
Le maître a décidé qu’ils iraient ensemble à la cueillette des champignons, avec le patron du troquet et son cousin. Il est très agile pour escalader la montagne. La jeune fille peine à le suivre. Pourtant, depuis leurs retrouvailles, elle le suit dans l’ailleurs. « Le maître avance d’une allure régulière sans s’essouffler ou presque. Quant à moi, ma respiration se fait de plus en plus haletante. » Par ces phrases, nous sentons le rythme de leur relation, la poésie, le fait qu’il s’agit d’une jeune fille en train de suivre dans le paysage nouveau et intensément réel un guide qu’il s’agit de ne pas perdre mais qui, déjà, marche trop vite ! Le maître met l’accent sur les sons, sur l’oreille, donc sur les bruits de la nature : « Ce que nous entendons, c’est le bruit que fait le pic-vert quand il picore le tronc des arbres, pour attraper des insectes. » Par ses paroles, la nature est vivante, à chaque pas, elle offre des surprises ! Mais Tsukiko joue à résister : « On avait beau vouloir me faire participer, je continuais à avancer tête baissée. »
« Dans la forêt, le maître m’est apparu différent de celui que je connaissais. Je lui trouvais un air familier des lieux, l’air d’un être vivant qui habitait dans ces bois depuis longtemps. » En présence du maître, comme avec personne avant lui, la jeune femme réalise qu’il est un autre, elle le voit vraiment, et son intérêt pour lui est vif. Littéralement, il la dépayse !
Elle regarde la nature, seule, tandis que le maître et ses compagnons se sont enfoncés dans les sous-bois. Elle a désormais un regard, et du temps infini. « C’est un ciel qui se découpe entre les tronc des arbres, qui donne sa forme à la forêt. Les tronc d’arbres sont comme les mailles d’un filet qui recouvrirait le ciel ». Elle se fait peintre. Elle s’aperçoit de l’existence des insectes, fourmis, phalènes. « C’était une expérience totalement étrange pour moi de me retrouver ainsi entourée d’êtres vivants. A la ville, j’étais toujours seule, parfois avec le maître, et je m’imaginais que cette réalité seule existait. » Il n’y a donc pas que le maître et elle. La promenade à la recherche des champignons ouvre l’espace, matérialise la nature, oriente les sens de la jeune femme vers les surprises de l’environnement, les fait glisser du maître vers toutes ces merveilles. Puis, un peu plus tard, le maître évoque très habilement un souvenir avec sa femme et son fils : comme pour signifier qu’il garde en mémoire des traces d’une vie autre, qu’il n’est pas tout à elle, qu’il demeure secret, pas vraiment saisissable. Tsukiko est perturbée : « Est-ce que vous aimez toujours votre femme qui vous a quitté ? dis-je dans un murmure. Le rire du maître s’est fait plus bruyant. Ma femme continue d’être pour moi un être inestimable… » Tsukiko peut avoir cette histoire incroyable et si intensément poétique avec le maître, elle ne peut espérer rayer l’existence de la femme du maître ! C’est très rigoureux !
« Mais le maître ne vient jamais chez moi. Il n’y a que moi qui vais parfois lui rendre visite. » Et oui ! La demande d’un enseignement très spécial vient de Tsukiko, pas l’inverse ! Le maître ne franchit jamais une séparation, il reste absolument absent du cadre de sa vie singulière, c’est elle qui va vers lui, puis ensuite reviendra chez elle seule avec elle-même. Nous sentons que seul l’enseignement, très spécial, l’intéresse, pas du tout de venir jouir de cette jeune femme, de pénétrer chez elle. Il reste à sa place, il l’invite à vivre dans un autre temps, il lui enseigne une qualité de vie, une sensibilité à l’autre, un épanouissement de ses sens, jamais il ne va s’abattre, en prédateur, sur sa vie à elle.
« Un sommeil différent de celui que j’ai connu dans la maison de ma mère m’a enveloppée. C’est un sommeil peuplé à l’infini de rêves. »
« j’étais redevenue un enfant. »
« J’oubliais que tu es toujours ailleurs, toi. Comme si tu pensais à autre chose, oui, absente… »
« Quand j’étais à l’école primaire, j’étais très mûre pour mon âge. Mais au fur et à mesure que le temps passait, devenue collégienne, j’ai cessé au contraire d’être adulte. » La résistance a commencé !
« Cette présence que je devinais avait la forme même du maître. Une présence virile, mais tendre. Elle s’échappe quand je cherche à la saisir. La croit-on échappée qu’elle se rapproche d’elle-même. » « D’ailleurs, ce qui est à l’origine de cette présence, cette chose vague et ambiguë, n’est-ce pas justement ce qui glisse entre les doigts au moment où on croit l’appréhender. » Voilà, la présence est déjà en train de s’échapper.
« Désespérée, je plonge au fond de mon sommeil, loin du sommeil du maître. Dans la clarté du petit matin, le cri des mouettes. » De petites phrases simples, incroyablement précises, poétiques, efficaces !
Pendant deux mois, Tsukiko essaie de s’éloigner du maître. Puis elle revient. Le maître dit : « Mais savez-vous, Tsukiko, tous les hommes meurent. » Alors, « A tout instant, la mort flotte autour de nous. » Ils ne peuvent se séparer par éloignement, mais que par la mort. Et seulement ainsi il restera de l’inséparable. Il ne l’aura pas laissée, il sera devenu juste invisible. Tandis que sa leçon servira sans doute à Tsukiko à jouer autrement les approches entre homme et femme.
« Après avoir empêché le maître de me reconduire jusqu’à la rue, j’ai refermé la porte d’entrée. Au ciel, un croissant de lune. Dans le jardin, une multitude d’insectes lançaient leurs cris. » Elle a laissé derrière elle la maison du maître, pressentant qu’un jour ce sera comme cela ! « Tout en marchant doucement le long de la rivière, comme si je m’adressais à la lune, je lui ai parlé, sans fin. »
Elle pense : « Sans nous rapprocher. Sans nous éloigner. Lui, comme un homme bien élevé. Moi, comme une femme de qualité. Une relation sobre. Oui, voilà comme j’avais décidé que nos rapports devaient être. Discrets, fidèles, sans exigence. J’avais beau tenter de me rapprocher de lui, il ne me laissait pas la liberté de le faire. Comme si un mur invisible nous séparait… Un mur d’air. » Magnifique ! Quelle leçon ! Quelle élégance, enfin, entre un homme et une femme !
La fin se sent. Les voilà au musée, « De nouveau, je me suis sentie gagnée par l’émotion. Même le canapé avec ses ressorts défoncés m’a paru la chose la plus agréable du monde. J’étais heureuse de me trouver ainsi avec le maître. Tout simplement, je me sentais heureuse. » « Il m’était tout à fait impossible de réduire la distance entre lui et moi. » Il reste autre. Elle ne peut se l’approprier.
C’est lorsqu’elle accepte la perspective de la mort du maître que celui-ci lui propose de se fréquenter sur la base d’une relation amoureuse, avec ce qu’elle comporte de charnel bien sûr. « Je suis restée simplement dans ses bras, sans vouloir bouger, comme si j’avais trouvé ma place définitive. »
« Oui, il a dit ça. Je vous aime. En guise de réponse. Les oiseaux continuaient de pousser leurs cris. » Quel style !
« Il me semble que cette histoire remonte à un lointain passé. » Comme si elle était hors du temps, ou dans un autre temps. En tout cas, c’est Tsukiko qui a désormais la serviette du maître, c’était son souhait avant de mourir. Comme si elle était capable à présent d’enseigner, elle aussi ? La leçon du maître ? Elle lit beaucoup de poèmes, en pensant à lui. Même pour la préparation du colin et des feuilles de chrysanthèmes, elle est sous l’influence du maître, avec lequel elle continue de parler à travers l’absence et en ouvrant, certains soirs, sa serviette.
D’une certaine manière, par cette histoire hors du commun, Tsukiko a acquis la certitude d’une filiation !
« Les années douces », roman de Kawakami Hiromi, sont incomparables !
Alice Granger Guitard
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