jeudi 3 octobre 2013 par Calciolari
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Vrin, 2007, pp. 320, € 32,00
Pourquoi lire les mathématiques, pour un intellectuel, de formation psychanalytique ? C’est vrai que les philosophes férus de mathématiques sont rares et plus encore les psychanalystes et les écrivains. Il y avait eu Italo Calvino, effleuré par les sciences, et surtout il y a eu certains psychanalystes lacaniens, parce qu’ils se sont intéressés à la drôle de mathématique de Lacan, dans son dernier enseignement.
Justement, c’est en lisant Jean-Michel Vappereau que nous nous sommes intéressés à Quine et à Hintikka. Le premier pour son bouclage de la logique classique canonique et le second pour sa logique ouverte, classée parmi les logiques non standards.
Cela faisait quelques années que nous avions acheté le livre Les principes des mathématiques revisités de Jaakko Hintikka, Finlandais, professeur à l’université de Boston depuis 1990, un philosophe des mathématiques et du langage. Il faut du temps pour le lire, bien que nous ayons au moins la base des mathématiques d’un ingénieur. Tout juste pour se pencher depuis plus de trente ans dans les théories mathématiques sollicitées par les psychanalystes, pas tous lacaniens, comme Matté Blanco ou Imre Hermann.
Si Freud n’a apparemment presque pas touché les mathématiques, par contre Jacques Lacan et Armando Verdiglione, bien que de façon très différente l’un de l’autre, s’intéressent aux mathématiques, et en particulier à la logique.
Donc, à la question, pourquoi lire Hintikka, la réponse la plus précise réside dans l’exploration de la connexion entre psychanalyse et mathématiques.
Les formulations de Freud sur la négation et sur le refoulement, et qui ont poussé Lacan à s’interroger sur le père comme zéro dans la parole (question reprise seulement par Verdiglione) en confrontation avec les trois principes de la logique d’Aristote (principe de non-contradiction, principe d’identité et principe du tiers exclu) posent de véritables questions. Le tabou, par exemple, s’avère la version psychanalytique du tiers exclu.
C’est justement le travail de Jaakko Hintikka sur le principe du tiers exclu, qui n’a pas lieu dans sa mathématique revisitée, qui a capté notre attention.
En passant, nous signalons que la lecture mathématique de la psychanalyse (sinon la mathématisation de la psychanalyse) de Jean-Michel Vappereau est basée sur une logique modifiée, avec l’introduction d’une deuxième forme de négation, peut-être informulable sans la lecture de Hintikka.
En ce qui concerne notre approche intellectuelle, nous n’avons pas encore trouvé en Hintikka un allié pour notre cause, comme nous l’avons trouvé dans Cantor et Gödel. Il nous faudra faire un détour par la théorie des jeux, de Wittgenstein à Morgensten et à Nash.
Bien qu’expliquer l’invention de Hintikka soit apparemment simple, l’analyse de ses prémisses et de ses implications (avant l’analyse de ses conclusions) reste à faire.
Dans Les principes des mathématiques revisités (1996), Jaakko Hintikka réouvre le chantier après le délaissement qui a suivi les premières contributions de Kurt Godel. Chantier bouclé par le coût ontologique minimal de Quine. D’ailleurs, les trois ratages de la fondation logique des mathématiques (formalisme, intuitionnisme et constructivisme) ont fait du champ théorique « pur », sinon un no man land, du moins un terrain vague.
Jakko Hintikka va interpréter chaque énoncé de la logique du premier ordre par un jeu sémantique joué par deux joueurs, le vérificateur et le falsificateur. Il est question de stratégie gagnante du vérificateur ou du falsificateur, qui ne « possèdent » pas les stratégies comme des objets utilisables. L’inapplicabilité du principe du tiers exclu dans la GTS (Game-Theoretical Sémantics) ou logique IF (Indipendence-Friendly Logic) et la négation comme échange des rôles, ne suspendent pas la relation fonctionnelle entre x et y, ce qu’on appelle en mathématique une fonction, et laisse dans l’opacité l’acting out des mathématiques dans le social où l’homme est pris comme l’inconnue, le x. Acting out qui est aussi l’apanage de Lacan, comme dans ses formules de la sexuation, et il reste l’exécution géométrique de son algèbre, qui s’appelle primat du phallus, bien qu’il ait mis en question sa signification et la signification même.
Hintikka n’a pas besoin de la théorie des ensembles pour faire des mathématiques, et c’est aussi la raison de son dépassement de la vérité logique établie par Tarski. Mais définir la vérité comme le résultat d’un jeu sémantique entre un vérificateur et un falsificateur, qui peuvent échanger leurs rôles, nous formulons l’hypothèse que cela ne peut pas s’appliquer au langage, en d’autres termes à la vérité comme effet de l’acte de parole pour chacun. Par contre, Hintikka affirme déjà que sa notion de vérité peut s’étendre au langage « naturel » qui, pour la mathématique, est aussi le langage quotidien. Et ceci comporterait que la vérité soit, pour les hommes, un jeu de stratégie.
Nous voyons déjà dans le vérificateur et le falsificateur le couple ami / ennemi, qui part de Platon et arrive jusqu’à Schmitt. Et il y a toujours un gagnant et un perdant : c’est-à-dire qu’avec le jeu sémantique s’implante une variation du principe de division (aussi bien du travail que sexuel). En fait, le falsificateur reste exclu comme le tiers qui n’est apparemment pas exclu dans la logique IF.
Cela dit, lorsque les mathématiques ne touchent pas à l’homme (en le prenant pour « x »), mais aux objets, la logique IF est plus apte que la théorie des ensembles pour faire le travail mathématique.
Si nous n’acceptons pas la réduction de l’humain à une équation, (la fondamentale c’est x=f(y)), alors le symbole de l’égalité est un ratage de la différence. Chaque terme dans la parole et dans l’expérience ne suit pas la loi de la conscience, ne suit pas les lois de la société, mais il est pris dans un voyage singulier et particulier, où les quantificateurs sont intellectuels et non plus existentiels ou universels. Ceci est la mathématique de la vie et non pas la mathématique des objets, ni sa dernière métamorphose comme mathématique des sujets, comme par exemple la topologie du sujet de Vappereau.
Le « x » peut aussi fonctionner comme zéro, comme un, et comme autre du zéro et du un. Aucun lien social entre x et y : ce qui revient à dire qu’il n’y a pas de rapport sexuel.
En lisant en détail le grand travail des Principes des mathématiques revisités de Jaakko Hintikka, nous constatons qu’actuellement ce sont les mathématiques qui ont le plus d’intérêt à se confronter à la psychanalyse non ordinaire que l’inverse.
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Messages
1. Les principes des mathématiques revisités - Jaakko Hintikka, 12 décembre 2015, 21:49, par aCOSwt
Bonjour et merci pour le compte rendu de votre lecture.
Je me permets d’intervenir juste pour bémoliser votre affirmation quant à la "rareté des philosophes férus de mathématiques"...
On pourrait commencer avec... Pythagore mieux connu de tous nos contemporains pour...
On pourrait continuer avec Platon qui refusait l’entrée de son Académie à qui n’était, avant tout géomètre,
Faut-il oublier aussi Descartes, Pascal ? Bon... il est vrai... ils ne se sont jamais prétendus philosophes.
Plus proche de nous, faut-il aussi gommer Bergson qui passe les 30 premières pages de "Durée et simultanéité" à redémontrer les équations de Lorentz ?
Bon... évidemment... on pourrait en citer des dizaines d’autres, mais j’abrège et j’espère les ci-dessus cités suffisants pour vous faire considérer que, dans votre commentaire, vous y êtes allé... un peu fort.
1. Les principes des mathématiques revisités - Jaakko Hintikka, 12 décembre 2015, 21:55, par aCOSwt
Et dire que dans ma short-list, j’ai moi-même oublié rien moins que l’inventeur du calcul différentiel !
Je m’en veux encore ! Pardon Leibniz !