mardi 5 mars 2013 par penvins
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La construction d’un poste militaire sur le lieu d’un cimetière, tel est le symbole fort autour duquel se construit ce roman. Parce que l’Algérie aura subi au cours de son histoire plusieurs tentatives d’acculturation, les deux dernières étant la colonisation française et la seconde la confiscation du pays par une secte politico-militaire appelée ici la Faction :
La Faction, dépositaire de tous les pouvoirs, dont certains occultes et dérobés, fonctionne comme une secte secrète, avec ses Gourous, sa police parallèle, ses chiens de garde, ses agents doubles et ses relais.
Entrelaçant la période de la guerre coloniale et la période contemporaine, le roman décrit à quel point le pays reste aliéné par delà son indépendance.
C’est pour libérer notre esprit de toute forme d’aliénation que j’ai accepté le sacrifice, pas pour échanger une oppression contre une autre…
Plaidera Aswaw devant le juge chargé de le condamner, ajoutant :
Quant à la croyance, on peut être Algérien sans être Arabe ou musulman, Algérien tout court, comme d’autres sont Chinois, Egyptiens, Espagnols... Comment croire à cette équation impossible qui fait de tout musulman un Arabe ? C’est pourquoi cela ne signifie absolument rien que vous m’appeliez Mohamed... On m’a tellement changé de nom au cours de mon existence que j’en ai l’habitude, mais j’ai souvenance de mon premier nom, et c’est celui de Jugurtha...
Vous vous appelez Jugurtha ? demande le juge l’air inquiet. Je croyais que c’était interdit !
Azwaw s’est battu pour l’indépendance de l’Algérie et il se rend compte que ce sont aujourd’hui ses frères qui l’oppriment, il en est comme fou, incapable de se libérer du passé, sujet à des hallucinations et la Faction pour mieux le contrôler ne le considère pas autrement qui l’enferme dans un asile psychiatrique.
Le combat est sans issue, d’ailleurs plus que d’un combat il s’agit d’une résistance, d’un repli identitaire, une sorte d’hibernation en attendant des jours meilleurs. Etape indispensable de la reconquête comme le dit si bien le roman, l’important étant d’abord de recouvrer son identité :
La libération passe par la reconquête de soi..., l’intelligence de son être profond
Tout à l’opposé de ce qui a été fait en Algérie depuis l’indépendance ! Et l’on ne peut que souhaiter que les jeunes générations, ayant lu ce livre, aient soif de retrouver les racines de leur pays. Toute renaissance passe nécessairement par la reconquête du sol, phase de régression bien sûr et les images de la mère ne manquent pas dans ce texte, il y a le coffre qui renferme ses souvenirs, il y a son assimilation au verbe :
Na Zahoua, c’était tout d’abord le verbe.[...] l’imaginaire de ces femmes qui avaient le sens de la poésie ; leur esprit fabuleux entretenait de manière quasi charnelle une relation profonde avec la culture millénaire, l’âme du pays ; [...]
écrit Md Amokrane Tighilt, le souvenir de la nourriture préparée par la mère participe aussi bien sûr de ce travail de réappropriation.
La terre qui a vu naître Azwaw s’étend à perte de vue [...] elle contient notre souffle comme elle a bu notre sueur, selon un échange quasi ombilical, le sang se trouvant être le lien indéfectible [...]
Car il y a le sang, le sang de la matrice bien sûr dont on peut penser qu’il est aussi celui de la guerre d’indépendance. C’est par la chair que le héros retrouvera sa terre mère avec laquelle il a gardé comme un lien secret, c’est en fécondant la terre qu’il retrouvera la force de combattre :
Il enfonça son fusil dans le trou. Il recouvrit l’orifice avec une pierre, de la terre et du feuillage. Ainsi a-t-il caché son arme ; remis à neuf, son fusil n’était plus rouillé, prêt sans doute pour une autre guerre, un autre combat, une autre solidarité [...]
Ce combat-là est d’une autre nature que le combat mené contre le colonisateur : à travers ce roman Azwaw adresse aussi un message d’amour à Houria, la femme qui a ravi son cœur lorsqu’il était plus jeune, une passion fulgurante :
... Houria, c’est un jour merveilleux. Eveille-toi de ton sommeil de nymphe que l’eau et l’air ont comblée de rêves et de senteurs, embaumée dans un philtre ; éveille-toi à la vie, à l’amour, ne soit pas farouche... Regarde ! Nos yeux brillent d’un feu insensé...
Cette femme qui partit dans un éclat de bombe c’est à la fois son passé et son avenir, elle se réincarne dans chaque frémissement de la nature, Azwaw la voit comme une autre femme, immortelle…
Car tu te trouves dans le moindre caillou, l’infime particule de poussière, le frémissement d’une feuille d’herbe, le vol fragile d’un insecte... Leur mémoire seule garde ton souvenir et tremble de ton parfum chaud et secret.
C’est sans doute sa manière à lui de retrouver le pays perdu, une régression elle aussi indispensable pour un homme qui ne sait plus qui il est.
Un très beau roman qui en dit plus que bien des discours sur l’âme blessée du peuple algérien.
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