vendredi 21 septembre 2012 par Jean-Paul Gavard-Perret
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FACE AUX ABÎMES
Christiane Tricoit, « Désert du Barbare », pointe sèche et collage de Claire Nicole, coll. Leporello, Passage d’encres, « La ligne entre », revue Passage d’Encres II, n°1, « Afrique… Océanie, mutations ».
Dessinatrice et poétesse Christiane Tricoit crée dans le langage - quelle que soit sa nature - divers types de césures et de disjonctions qui à la fois lient et délient le monde et touchent à sa déhiscence. Il se retire et il revient dans les extases paradoxales que provoque la créatrice. Elle rappelle dans ces deux derniers textes à la fois ce qui rassemble (du côté d’un passé africain) et ce qui rompt ( du côté d’un passé - ou futur hélas pas forcément antérieur - plus énigmatique et qui lorgne sur un présent désert).
Par la douceur et la sécheresse de la « taille » (coupure des lignes, abrupt des éléments syntaxiques et lexicaux) Christiane Tricoit multiplie des aveux le plus discrètement possible et donc très loin de toute effusion narcissique. En surgissent la chute infinie du corps et sa remontée. Puis (parfois) sa rechute. Ce n’est donc pas seulement une pensée qui porte le langage ou le dessin.
Pris dans les lignes et les ligaments surgit un pays antérieur à la conscience : celui de l’émotion. Il prend la forme d’une contrée incertaine de l’enfance (« La ligne entre ») ou d’un canyon cataclysmique (« Désert du barbare »). Chaque fois l’innocence y est bafouée.
Christiane Tricoit depuis toujours et de la manière la moins bavarde, prolixe ou exotique qui soit, invente un amalgame particulier. Il donne à son œuvre une unité secrète, absolue, sauvage, suave et distante. Il y va de la coulée, de la poussière, mais aussi d’une sorte de résistance imperturbable, volcanique..
L’artiste et l’auteur n’est pas de celles qui geignent. De fragments en fragments, de ce qu’elle laisse voir et échapper de sa vie comme de ses voyages (Ah le New York de Christiane !) s’atteint un point limite où surgit un vertige noir et lumineux. Pas « étonnant alors que la poétesse trouve en Claire Nicole une égale, une sœur. Chacune à sa manière possède un geste et un langage discrets. Leurs encres rapprochent des lisières brouillées de la pensée, bref à la frontière où il est urgent de voir et de parler puisque tout devient incertain et non étalonné.
Chez Christiane Tricoit la parole exigeante reste – suprême élégance – comme en retrait, en attente (comme à sa manière la gravure de Claire Nicole l’est forcément puisqu’elle naît d’un vide de matière). Il faut donc continuer à suivre les traces de l’auteure sur la baie de l’Hudson comme sur les grands fleuves d’Afrique, dans les bayous de Louisiane comme près des ponts de la Seine. Chaque fois de telles traces parce qu’elles s’effacent deviennent plus touchantes.
Que dire de plus sinon que, malgré le vide que ce travail engage, surgit un lever d’espérance ? Le lecteur s’abandonne aux mots de Christiane Tricoit comme le regardeur à ses dessins et ses photographies afin de toucher le voile troublant d’un laisser être au monde. La créatrice fait ressortir la tristesse inséparable de la vie. Elle épelle les lettres et les images de diverses destinées dans la plus grande des pudeurs.
Celle qui est si chaleureuse dans sa vie a un côté « calviniste » dans sa façon de dessiner et d’écrire. Et on préfère cela aux gerbes intempestives. Une telle écriture rappelle que seuls les êtres et les paysages qui manquent confrontent à une limite et font éprouver le peu qu’on est. D’autant – « Le Désert du Barbare » le prouve – que l’auteur ne se fait nulle illusion sur l’avenir. Elle permet cependant de respirer le soir comme un jardin de lune. Une telle recherche plastique et littéraire fait donc aimer la vie et mépriser ceux qui la méprisent et la salissent.
Ce travail ouvre à l’approcher d’une forme paradoxale de réalité (ni réaliste, ni imaginaire ni symboliste non plus) : celle d’une « volupté » qui ne joue pas sur les fantasmes. Ne reste que la nécessaire pâleur de la lune sur la mangrove que constituent les lueurs de Claire Nicole lorsqu’elles viennent enlacer les mots dans un précipité de matière métaphorique. Dans un texte pourtant squelettique (et donc prémonitoire) l’impression est donnée d’assister à un film d’une très longue durée auquel on ne se soustraira pas.
Une fois encore se retrouve en lisant Christiane Tricoit une force pour se battre face à la chiennerie de la vie et à la dureté des jours. On glisse dans l’enfer du Barbare en voulant croire à une féerie glacée. Bien sûr c’est une folie. Une folie du sage. Mais une folie tout de même.
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