lundi 2 avril 2012 par Nicole Barrière
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Au Pays de l'indivis d'aimer
Philippe Tancelin, Poètes des cinq continents, Editions l'Harmattan 2011
Qu'est ce que l'amour? un désir, un délire, une possession, une sagesse, un mystère? quelle science de l'amour nous conte Philippe Tancelin?
A le lire, nous nous sentons soudain ramenés à l'époque adolescente où cette question taraudait, passion amoureuse ou amour? amitié amoureuse ou folie érotique?
Même si l'idée du couple est étrangère aux sauvageons, la question s'imposait toujours sur la durée : engouement passager de quelques jours ou de quelques mois? et installait aussi les qui, quand, comment rejoints immédiatement par pourquoi?
Pourquoi est d'ailleurs la question qui vient le plus souvent à propos du désamour, dans sa dimension narcissique? pourquoi ne m'aime t-on plus? Fortunes et infortunes de l'amour, enfant de bohème comme dit Carmen.
Que de livres investis en ces temps où nous cherchions avidement les signes du mystère amoureux, car si l'expérience de l'amour dans les jeux du désir adolescent s'expérimente, elle ouvre à d'autres interrogations.
Nous cherchions dans les livres de philosophie qui parfois nous rebutaient pour plonger dans les livres de poésie, Ronsard et Musset nous enchantaient, Aragon et Eluard nous comblaient.
Le désir! nous désirions tout de la vie, son insouciance et sa tragédie à condition qu'elles nous fissent sortir de l'ennui. Rimbaud et Baudelaire rodaient toujours ...
Le désir! nous étions pris dans ses rets à ce moment d'invite claire quand pointaient les réminiscences de précaution de la morale ou de la religion!
Et pourtant il nous était impossible d'être coupables, impossible de ne pas désirer, de ne pas jouir jusqu'à la folie.
Aimer à la folie, tel était le slogan, aimer quoiqu'il arrive! l'urgence d'aimer!
Ce slogan est une des leçons de Philippe Tancelin!
Ce délire? de quoi nous délie t-il? à chaque fois que nous sommes amoureux, nous rompons avec l'ancien, nous renaissons pour vivre plus grand, plus fort, plus unique. Dans la grisaille du présent, nous attendons un jour nouveau, une vie nouvelle, un printemps nouveau, une rédemption, un rachat, une revanche, une révolte. C'est l'état naissant d'un mouvement collectif à deux dit Francesco Alberoni, qui indique que l'amour est plus fréquent à l'aube des grands mouvements, que souvent il les précède.
Le livre de Philippe Tancelin est donc une bonne nouvelle! il précède des révolutions!
Mais le poète a l'expérience de ces passions qui intensifient la vie comme elles la dévastent, il traverse et nous fait traverser les innombrables questions de ceux qui aiment et désirent être aimés en retour :la passion, la jalousie, les rêves, les idéaux, l'érotisme qui rendent la vie merveilleuse ou la transforme en enfer, les gestes qui rendent heureux et les mots qui jettent dans le désespoir.
"saurais-je mette au clair l'amour et ses raisons
sa tragédie de plomb, sa comédie de paille
les actes machinaux qui le font quotidien,
et les caresses qui le rende éternel" chante Eluard
Philippe Tancelin y répond par des notes dont il n'est pas sûr qu'elles impulsent la dynamique d'un creuset créatif et où les personnalités d'elle et de lui se fondent, s'allient, discutent et se complètent face à un monde de plus en plus clos.
Comment construire un amour qui soit le mordant de cette tension et de cette union? Dans ces fragments pointe un début de sagesse? de philosophie? il nous invite à un banquet où il fait l'éloge de l'amour.
Mais qu'est ce que l'amour?
Que signifie "être amoureux"? que signifie "je t'aime"? autant de mots pour signifier: énamourement, amour , affection, tendresse, passion, attachement, attraction érotique.
Nous sommes là dans des signifiés très contemporains de l'amour, l'amour est peut-être autre chose, mais alors comment le connaitre?
Philippe Tancelin tente d'y répondre sous une autre forme : "itinéraires de prophétie", un hymne, un appel à aimer qui lui est personnel, mais dont on sent bien qu'il défaille dans "le cri du loup blessé".
Pourrait-on enseigner l'amour? il ne peut pas s'enseigner, si on veut enseigner, il faut commencer par se poser la question : qu'est-ce que c'est? et là nous sommes confrontés à un savoir précaire, à la précarité de ce que nous sommes, à notre indigence devant l'amour, alors il faut se remettre en question, totalement, traverser le feu, une fois encore tant l'embarras de soi est grand. C'est quand l'aimé s'éloigne, quand nous risquons de le perdre, que nous nous posons le mieux la question.
il nous revient alors toutes les sagesses et les folies d'aimer, Diotime, Philémon et Baucis, Ulysse et Pénélope, Tristan et Iseult, Heloise et Abelard, Roméo et Juliette, Carmen, Justine ou les malheurs de la vertu... A évoquer ces figures de l'amour, déjà nous fondons la connaissance d'un amour préexistant qui nous fait saisir plus profondément l'origine de notre attachement.
Sommes-nous prisonniers de modèles qui déterminent son devenir?
Pour Philippe Tancelin, c'est la figure de Marie-Madeleine. Dans cette partie très belle du recueil, sur le chemin de Magdala. Dix stations d'évocation de Marie-Madeleine. Magdala consolatrice mais condamnée à l'effacement, on pense bien sur à ce Marie-Madeleine traduit par Rilke, il est difficile d'entrer dans cette invocation sans larmes, tant ce recueillement de dix stations est la forme éphémère du refuge de l'homme blessé qui se transforme en révolte.
Est-ce Marie-Madeleine qui a enseigné Philippe Tancelin dans sa quête de l'amour? ou prend-il prétexte de cette figure rebelle de la religion pour renouer avec toutes les figures des amants, en pointant là un couple interdit : le Christ et Marie-Madeleine.
En retenant cette mythologie chrétienne, n'est-ce pas une closure qui s'opère ?
qui viendra sans fard sur la terrasse antique
bâtir la halle aux poètes
proférer le devenir de la parole qui engage?
demande le poète. Comment répondre à la question d'exister? entre les réponses de la Pythie ou des sophistes à la question de l'être et de l'Etant, de ce passé qui le précède, de ce partage ou de cette interprétation d'histoire, comment revenir à la source poser les questions? l'amour est-il en devenir, une question de temps s'écoulant seul ou est-il l'avenir c'est à dire la question de la sagesse et du mystère?
Dans la figure religieuse de Marie-Madeleine, se révèle un mystère de l'amour.
Marie-Madeleine est un personnage ouvert, par-delà son itinéraire personnel, elle nous révèle une destinée, l’image de ce que nous sommes. Sa rencontre avec Jésus ressuscité est un mystère, un événement qui nous invite à entrer dans une relation nouvelle, le mystère d’une alliance en-delà du visible et du tangible, une alliance d’éternité.
Interroger la source, est-ce interroger la figure de Marie-Madeleine dans l'écoulement de son propre temps? ou faut-il explorer là le refoulement de la source, de l'écriture comme décision de trouver son chemin, de l'avenir c'est à dire de la décision du sens de son destin?
Cette figure de Marie-Madeleine, épouse inépousée, nous fait respirer le parfum du Cantique des Cantiques, la recherche éperdue de la Bien-aimée pour son Bien-aimé. Elle pleure au tombeau, cherchant le Corps de son Bien-aimé disparu. Elle voit son Bien-aimé. Ne me touche pas . N’avait-il pas accepté qu’elle baigne ses pieds de larmes, qu’elle les essuie de ses cheveux, qu’elle les arrose de parfum et qu’elle les couvre de baisers.
Cette figure, fait-elle barrage à la question de l'amour-même? ou bien est-elle cet infini et cette idéalisation de l'amour qui conduit à la sagesse et au mystère?
L'amour est-il une sagesse, un mystère?
Quel mystère s'annonce là? le mystère d’une absence, d’une présence ou d’un avenir? Dans quelle danse mystique sommes-nous entrainés? une résurrection, une profonde communion de vie et d’amour plus haut, plus total?
Être transfigurée, dans cette lecture, toute femme rêve d'être l'Ève nouvelle, image de l’humanité, entièrement recréée dans la beauté de la grâce.
Nous voilà au jardin de l'Épilogue : jardin fleuri, jardin printanier de mai à venir, jardin de résurrection, jardin du Cantique des cantiques, jardin de Paradis?
Nous délestons nous à la porte de ce jardin de la possession, de la hantise de la polarité, de la tentation, de la culpabilité d'une époque tragique et névrotique? Comment?
Le jardin que nous propose Philippe Tancelin est le jardin du monde, le jardin intègre de ce qui émeut, ce qui met en mouvement, un jardin révolutionnaire qui embrasse toute la vie, non l'amour d'un seul amour que réduit souvent la dimension de petit homme mais l'amour total dans toute sa beauté, sa bonté et sa justice.
J’ai lu Philippe Tancelin et voilà ce qu’il m’a dit !
Nicole Barrière
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