Récit poétique paru aux éditions Le Réalgar, collection l’Orpiment
jeudi 12 octobre 2023 par Françoise Urban-MenningerPour imprimer
Pour Alain Borer, qui préface cet opuscule, Paloma Hermine Hidalgo signe "un livre explosif" et ce n’est pas peu dire ! Rappelons que cette jeune autrice est tout à la fois poète, dramaturge et critique. Elle collabore avec The Times Literary Supplement, Le Monde, Europe, Esprit, France Culture...Ajoutons, que découverte par Michel Deguy, elle a été lauréate en 2021 de la Bourse Gina Chenouard de la SGDL.
Mais ce pedigree n’est rien en regard de la beauté envoûtante de cette écriture du vertige qui fait saillir sous le verbe cette langue de "l’obscur" qui, comme l’affirmait Meschonnic, "travaille en nous".
Dans l’oeuvre de Paloma Hermine Hidalgo, c’est le corps qui parle et se transmute, entre plaisir et douleur, en corps lumineux du texte. Le rythme incantatoire y scande la rutilance de la chair vive des mots où les animaux dépecés ont partie liée avec l’érotisme le plus cru.
Elle puise ses images dans ses réminiscences de l’enfance empreintes de baroque et de paganisme, elle évoque ainsi sa mère "Elle prend une oie, lui tranche la langue. Le gosier bée : un trou qui est ma mort, une mort que les ailes scandent" et plus loin "On estourbit les coqs. Les gouttent cinglent les ailes, ruisselantes". Le sang s’écoule entre les lignes, s’épanche sur l’autel transgressif de la démesure. "Le papier saigne", ajoute Paloma car l’écriture est une plaie ouverte qui témoigne de la déperdition ou perte de soi tout en tentant de l’exorciser. Jean-François Chiantaretto, dans son livre "La perte de soi", affirme qu’elle est "souhaitable, au titre d’une nécessité intérieure" et d’expliquer que "se parler et parler, être présent dans les mots et être représenté par les mots" permet "de donner mots à ses affects". Et c’est bien, ce qu’entreprend Paloma dans cette écriture cathartique qui tient de l’exorcisme. Les mots rares et précieux, nés d’une d’outre-langue, soulèvent sous la peau cette musique qui fend l’âme en la faisant virevolter sur un trône de feu. Car dans ce jeu d’ombre et de lumière, même la mère possède deux visages, celui de "la prussienne" qui renvoie à "l’onctuosité des jours cléments" mais quand elle évoque sa voix, on découvre "un air de viole sur un tapis d’oursins".
La trame de ce livre est sous-tendue par l’image tutélaire de la mère disparue, par l’effroi suscité par le beau-père prédateur mais la symbiose de l’autrice avec la nature suspend le temps dans une poésie à fleur d’âme et de peau où elle s’écrie "Sur l’eau, le soleil est un sexe en miroir". Ses écrits sont autant de cris silencieux jaillis des profondeurs de son être blessé, elle poursuit "Il pousse le verrou, coince une chaise sous la poignée, me déshabille de rose pour m’habiller de blanc" et l’on retrouve dans cette scène de cauchemar éveillé l’image du sexe en miroir "Je fais l’amour avec les yeux, jupe relevée, face au miroir". Pour reprendre la citation d’ André Breton,
Paloma Hermine Hidalgo "fait l’amour avec les mots" car dans ce recueil, son image démultipliée n’est autre que celle de l’enfance outragée qui se reflète sur les pages blanches d’une écriture d’une splendeur abyssale où des trouées de lumière éclairent l’indicible "La mort entre mes jambes est une brassée d’azur".
Françoise Urban-Menninger
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