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Glaise - Franck Bouysse
mardi 2 avril 2019 par penvins

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Quelquefois il faut en revenir aux fondamentaux, Franck Bouysse a sans doute fait ce pari. À contre-courant de ce que fut la littérature française pendant longtemps, n’ayant pas peur de chercher ses modèles outre-Atlantique, il publie années après années des romans qui s’apparentent à des polars et qui sont appréciés d’un vaste public. Glaise est particulièrement symptomatique en ce qu’il s’ancre à la fois dans un territoire de la France profonde – le Massif Central - et dans une période marquante de notre histoire, la Guerre de 14-18. Il y a toujours chez Bouysse la nécessité de s’extraire du temps présent.
La qualité de l’écriture et de la narration fait de ces romans de si parfaits chefs-d’œuvre que l’on a du mal à prendre de la distance pour les analyser. C’est pourtant cette perfection qui donne du sens à l’oeuvre entière. Perfection de la terre, sagesse paysanne. Pourquoi chercher ailleurs, tenter d’infléchir le cours des astres puisque nous ne sommes que de passage dans un monde qui ne nous a pas attendu. Franck Bouysse met en exergue de Plateau cette phrase :
la faune et la flore croissaient et disparaissaient, totalement indifférentes à l’être humain et à sa volonté (Ken Kesey)
Reste une vision très manichéiste du monde des hommes, vision certes inhérente au genre (le polar) mais c’est dans ce genre littéraire que l’auteur a choisi de s’exprimer, j’allais dire de ne pas s’exprimer tant il s’emploie à brouiller les pistes avec habileté. Si de roman en roman le discours évolue, le dernier d’entre eux "Né d’aucune femme" est marqué par une critique sociale virulente qui n’apparaît pas dans "Glaise" où est admise la soumission du peuple au pouvoir militaire. Il est vrai parfois - mais bien timidement - contesté. Le roman prétend refléter une situation qui était assez peu propice à la révolte, mais, en situant son roman hors des lignes de front, l’auteur se met en retrait des rapports de force et des mouvements de rébellions qui agitèrent les tranchées.
En effet, si ce que décrit Franck Bouysse n’est pas en dehors du temps, la guerre n’y apparaît que comme une toile de fond qui certes bouleverse la vie du pays mais semble une fatalité. Les combats sont ailleurs et d’un autre ordre. Les différences sociales, tant du côté d’Hélène que de sa fille, sont volontairement niées sur un registre tout à fait romantique. Anna aime Joseph en dépit – ou en raison – de ses origines paysannes très éloignées de ses propres habitudes citadines. Les tensions entre les familles sont intestines, elles ont peu à voir avec la Première Guerre mondiale et c’est dans cet espace symbolique des fermes que se battent le Bien et le Mal.
On trouvera ici des thèmes qui évoluent et se complexifient au fil des romans de Franck Bouysse parfois traités à la limite du fantastique à la manière de ce qui s’écrit dans les contes. Il y a tout d’abord la mise au monde d’un enfant. Le thème revient dans "La paix du désespoir", dans "Né d’aucune femme", dans "Grossir le ciel", et dans "Plateau" où Georges sera l’enfant de substitution. Ici, dans "Glaise", il y aura aussi un enfant de substitution. L’enfant d’Irène vient remplacer le frère mort au combat en ce sens il répare la perte d’Eugène, mais – comme si sa fonction s’arrêtait là – il disparaît à la naissance :
"Alors, un cri monta dans la gorge d’Irène, sortit, comme si elle expulsait les flammes de l’enfer par sa bouche, lorsqu’elle prit définitivement conscience de ses mains collées l’une à l’autre, et dans lesquelles il n’y avait personne."
Quant à Joseph, il remplace le père parti au front, mais il est surtout - autre thème important - le Rédempteur. Celui qui a vu sa grand-mère mourir, celui sur lequel pèse la culpabilité même si ce n’est pas, comme dans "La paix du désespoir" ou dans "Grossir le ciel" celui qui en naissant est responsable de la mort de sa mère.
Thème important dans l’œuvre de Franck Bouysse, le Rédempteur, est aussi celui qui défend Anna contre le monstre assoiffé de sexe, il sera également celui qui fait le lien avec le passé.
"Il pensa à son grand-père, aussi à l’histoire qui ne faisait que se répéter. Acceptant la sentence de la foudre, son héritage."
Le sacrifice du Rédempteur s’impose pour purifier le roman de la tentative d’exécution du meurtrier. On aura noté que l’auteur exonère Joseph de ce crime en laissant Valette responsable de sa propre chute. La mort du Rédempteur, son sacrifice qui était explicite dans "La paix du désespoir", ici semble n’être qu’une évocation :
"Car il ne savait alors s’il avait pénétré le royaume des morts, s’il en était ressorti, ou s’il était seulement à sa porte
[…] Et lorsqu’il se releva, ouvrant enfin les yeux, il la vit.
Et ce fut tout."

Le texte cependant reste ambigu. Comme s’il n’était pas possible d’échapper à ce sacrifice. Ce que voit Joseph, on ne sait si c’est Anna ou son image "devenue corps et âme".
Petit à petit en lisant les romans de Franck Bouysse on perçoit la cohérence de l’oeuvre, ce qui fait que ce sont plus que de simples polars.



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