jeudi 13 avril 2017 par Jean-Paul Gavard-Perret
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Fenêtres sur le vertige : Sylvie Aflalo
https://www.sylvie-aflalo-haberberg.com/
Sylvie Aflalo sait que le visage n’est que le masque de l’identité. Du faciès aux facéties il n’y a qu’un pas que la photographe refuse. Et ceux qui prétendent atteindre le marbre de la personnalité par la « visagéïté » (Beckett) se trompe de cible. Il n’est pas sûr d’ailleurs que Sylvie Aflalo désire le percer. Son esthétique de vérité garde un autre sens : casser un « éthos » par une sorte d’ « obscénité » au second degré. Chaque portrait devient un cri sourd, total, profond et mystérieux.
Existe chez elle une timidité mais elle se dissipe lorsque, par l’épreuve du corps, l’artiste est à la recherche d’une perfection particulière. Les autoportraits revendiquent moins une satisfaction pulsionnelle que la mise en exergue du gain absolu d’une forme de folie ou de sagesse : un équilibre plastique mais tout autant entre les émotions du cœur que ceux du corps et les affres d’un esprit tourmenté d’un désenchantement existentiel que l’artiste ne fait que suggérer.
L’image ne « caquette » jamais. Et Sylvie Aflalo évite le danger du retour de la simple nostalgie et de ses effets trop faciles et factices. L’angoisse s’expose de manière métaphorique. Il convient juste de se laisser prendre, se laisser emporter dans ce que la photographie par son érotisme peut susciter - nier ce dernier serait mentir.
Néanmoins Sylvie Aflalo donne l’impression de se dédier à ses prises pour exprimer une souffrance ou un manque. La vie est en jeu par ce que dévoilent des poses sophistiquées au sein même de ce qui semble la simplicité même. Surgit comme une marée montante et en même temps une forme de statisme. L’image du corps perce la nuit de l’être sans pour autant le dévoiler afin de proposer une hantise. Si bien que les mots de Baudelaire « le désir qui fascine et le plaisir qui tue » prennent un sens inédit.
La vie fait résistance même lorsque l’horizon du corps pâlit par le jeu des ombres appesanties, des lumières de stratégies scénographiques. Ce qui est l’objet du désir (chez le voyeur ou la voyeuse) reste dans l’ombre. Il n’est pas question que la coque du scarabée éclate. L’œuvre en perdrait son sens. Et si Sylvie Aflalo traverse la photographie comme elle est traversée par elle, celle-ci n’y est pas engloutie. Au contraire : elle-même se voit, se contemple, se réfléchit à tous les sens du terme et bien au-delà d’un simple plaisir d’autosuffisance. Elle devient son propre sujet pour une quête générale, existentielle, va du défini à l’infini là où tout semble enveloppé de silence dont les parois engendre l’émotion, le suspens, le vertige au-delà du choc de la sensation purement érotique.
Résumons : Sylvie Aflalo cherche à pénétrer les cercles d’un centre jamais atteint par différents moments qu’elle met en scène afin de se montrer/cacher. Cette exhibition paradoxale suggère la douce violence d’exister avec tout ce que cela comporte de doute et de beauté, d’absence et de présence, d’ouverture et de fermeture.
L’harmonie demeure toujours présente. Elle circonscrit l’inexprimable, lui donne toute sa puissance. Entre la technique et l’instinct, à travers sa chair pensante l’artiste propose ce qui la dépasse, qui dépasse le langage. Ses images précèdent sa pensée, l’anticipe, pénètre l’intimité tout en refusant la monstration pétrifiante par ce qui n’induirait que des fantasmes. La ligne de fracture est mince mais l’artiste reste en équilibre dessus.
J-P Gavard-Perret
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