mardi 16 mars 2010 par Josy Malet-Praud
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Inspiré d’un fait dramatique qui s’est déroulé dans les années quatre-vingt, l’histoire se déroule à Taïwan, dans la petite ville de Lucheng, district de Chuenco. La guerre a renforcé la paupérisation de la population rurale et la famine menace la région.
Après la mort d’une mère, condamnée par le clan familial pour avoir vendue son corps à un soldat contre de la nourriture, Lin Shi rejoint la maison d’un oncle méprisant et vénal qui ne tardera pas à se débarrasser de la jeune fille. Moyennant quelques quartiers de viande, elle sera destinée à épouser le boucher, Chen-le-tueur-de-porcs, homme brutal, alcoolique et pervers.
Au fil du quotidien, la jeune femme ne tardera pas à découvrir l’enfer : rejetée et bafouée par une communauté de voisines envieuses, toutes prises dans le carcan des traditions où la situation de la femme n’est souvent pas plus enviable que celle des animaux domestiques, battue et maltraitée jour après jour par un mari pervers qui ne voit en elle qu’un objet de défoulement à la violence qui le taraude, Lin Shi finira par être totalement isolée et démunie de tout.
Poursuivie par les fantômes auxquels les croyances rurales prêtent un rôle majeur dans la destinée des habitants incultes de la campagne taïwanaise, convaincue d’être promise à la fatalité, Lin Shi sombrera peu à peu dans une forme d’autisme protecteur. Un monde où elle parvient à survivre. Jusqu’au jour où, acculée par la faim, la solitude, et les humiliations, après la dernière « raclée » et les dernières injures infligées par son mari, c’est dans un délire presque poétique qu’elle tuera cet époux comme lui-même égorgeait les cochons.
Fondé sur un fait divers dont les grandes lignes sont connues d’avance, cet ouvrage n’est pas à proprement parler un roman, ou pas seulement. C’est aussi, et surtout, m’a-t-il semblé, un témoignage de l’auteur sur les conséquences d’une culture où les traditions et les croyances ancestrales dévastent la condition féminine d’abord, et s’opposent radicalement à toute forme de solidarité humaine ensuite.
Qui pouvait mieux qu’une femme taïwanaise relater cette histoire où, si la violence domestique, la cruauté, et la misère féminine sont omniprésentes, l’écriture reste sobre, limpide et presque pudique. L’auteur ne convoque pas -la sensiblerie- du lecteur, ni même n’entreprend l’analyse psychologique des personnages : elle relate des faits et met en évidence les tenants et les aboutissants du drame. Elle n’explique rien, elle donne à voir et, partant, à penser. C’est avec tact mais sans dissimuler l’horreur des situations que l’auteur parvient à retracer cette histoire. Le contraste entre une campagne où la nature est même dépeinte avec une certaine poésie, et les fils sanglants du drame qui se nouent, est particulièrement étonnant.
J’ai aimé.
Josy Malet-Praud – 03/2010
L’auteur :
Li Ang est le pseudonyme de Shih Shu-tuan.
Elle est née en 1952. Diplômée de l’université de Taïwan, elle poursuit ses études aux Etats-Unis dans les années 70. C’est alors l’une des figures les plus importantes de la dissidence de Taïwan par ses prises de position en faveur de l’indépendance du pays et de l’amélioration de la condition féminine. En 1983, malgré la levée de boucliers des autorités chinoises, elle obtient le prix de l’Union (équivalent du Goncourt) pour son premier roman alors intitulé « La femme du boucher » (traduction française – Flammarion - 1992), puis réédité par Denoël en 2004 sous le titre actuel « Tuer son mari ». Elle est aussi l’auteur de :
Le jardin des égarements, 2003.
Nuit obscure, Actes Sud, 2004.
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