vendredi 20 novembre 2009 par penvins
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Je soupçonne Gallimard d’avoir estampillé ce livre roman pour des raisons purement commerciales – table des libraires, participation aux prix littéraires… - je dirais plutôt qu’il s’agit d’un récit ou d’un essai dont la troisième partie est romancée. Ce qui n’enlève rien aux qualités du livre de Yannick Haenel ni au fait qu’il peut se lire comme un roman.
Qu’importe après tout si Y. Haenel ré-invente la douleur de celui qui n’a pas été entendu, les faits sont là : il n’a pas été entendu ou plutôt on n’a pas tenu compte de son témoignage pour réagir à temps de la seule façon qui soit humaine en tentant tout pour arrêter tout de suite le massacre – parce que quelque soit les raisons pour lesquelles on n’a rien fait, on a rien fait pendant que des milliers de juifs étaient exterminés et sur ce point nous n’avons rien à répondre à Jan Karski. Les Alliés savaient martèle-t-il mais il dit aussi, ou plutôt Yannick Haenel rapporte-t-il que selon J. Karski le juge de la Cour Suprême des Etats-Unis lorsqu’il lui avait raconté l’extermination des Juifs d’Europe lui avait dit : Je n’ai pas dit que vous mentiez, j’ai dit que je ne peux pas le croire. On ne peut ignorer ce mécanisme de déni même s’il n’est pas le seul en cause, témoin ces 70 000 Juifs roumains dont les Américains n’ont pas accepté le transfert vers la Palestine – on peut même penser que pour agir il faut sortir une fois pour toutes du « pays des morts » comme le lui conseille son éditeur et que les Américains avaient besoin de dénier la réalité du massacre pour préparer leur offensive.
De ce point de vue le livre de Y. Haenel est d’abord un livre sur l’impossibilité de se faire entendre par la parole et donc de l’obligation de trouver d’autres façons de dire. Ici le message transmis par les leaders juifs à Jan Karski est répété trois fois, de trois manières différentes ce qui peut conduire à une autre question pourquoi celui qui n’est pas entendu ne se demande-t-il pas ce qui rend son message inaudible ? Comme si la seule réponse à cette question était : ils ne veulent pas m’entendre. Céline après la fin de la guerre n’avait plus aucune chance de faire entendre son point de vue entaché d’antisémitisme et pourtant il écrit D’un château l’autre qui est aussi une façon de répéter ce qu’il a toujours dit mais il doit pour cela inventer un nouveau style, ne pas attaquer de front. Haenel s’y prend différemment il assène, il répète trois fois ce que Jan Karski n’a pas toujours dit : et moi-même dans mon livre, j’ai dissimulé mon point de vue. A l’époque où le livre a été publié, c’est à dire en 1944, il était impossible que je dise la vérité. Il n’est pas sûr que cette technique ne soit pas efficace, en effet à entendre trois fois les mêmes faits de façons différentes il se produit un effet de vérité incontestable et pourtant ce livre apparaît comme une démonstration, l’illustration d’un point de vue préétabli, même si d’une certaine manière il bouscule une vérité confortable, celle de l’innocence des Alliés face au massacre des Juifs, ce qu’il défend : leur complicité plus ou moins tacite, n’a rien d’une vérité historique, il ne fait que reprendre le cri de douleur d’un homme qui a crié une vérité qui ne pouvait être entendue parce qu’inimaginable ni face à laquelle les ennemis de l’Allemagne avait forcément les moyens de réagir.
La troisième partie du livre, celle que Haenel appelle roman est certainement la plus intéressante en ce sens qu’elle trahit les véritables motivations de l’auteur, on lit par ci par là que ceux qui ont témoigné l’on fait dans une version extrêmement diplomatique (sous-entendu ils n’ont pas dit cela mais on peut penser que…) ou bien Quand je l’ai raconté dans mon livre, j’ai volontairement adouci la scène ( c’est bien sûr Haenel qui écrit et qui nous dit indirectement qu’il a lui-même modifié le témoignage qui ne lui semblait pas assez fort !) ou encore que si un livre ne modifie pas le cours de l’Histoire, [ce n’est pas vraiment un livre] (on peut entendre cette affirmation de différentes manières !). On entend Jan Karski/Y Haenel dire : d’une manière plus mystérieuse je faisais partie désormais de cette famille (la famille juive) on l’entend également s’interroger par deux fois sur Dieu et la religion – celle des catholiques et celle des juifs et répétant à chaque fois qu’il ne veut pas en dire plus ! et même d’ajouter ( il m’est arrivé quelque chose, voilà tout, j’espère que vous l’entendez ) et pour affirmer finalement par la bouche de Karski : J’ai parlé parce que j’ai pensé que ma parole redonnerait vie aux morts (à ce propos Haenel parle de la résurrection !) tout ceci donne une impression de falsification et de culpabilité qui explique parfaitement cette volonté d’accuser le monde occidental d’avoir participé - fusse par omission ( comme on dit dans la religion catholique ) - au massacre des Juifs d’Europe. Comme il le dit si bien lui-même, il est plus facile de s’accuser d’un crime quand il est trop tard ! Mais il préfère en rajouter et dire que la distance qui nous sépare des hommes qui meurent s’appelle l’infamie ; il est pourtant évident si l’on retient cette façon de voir le monde que l’infamie est de tout temps et qu’il est difficile d’y échapper tant que la sécheresse subsiste au Sahel ou que les hommes s’entretuent dans l’ex-Yougoslavie.
Assurément un livre qui pose une question essentielle : pouvait-on arrêter le massacre des juifs avant la fin de la guerre ? mais qui y répond de manière tyrannique. Monsieur Haenel joue le rôle du procureur tout en se rangeant lui-même du côté des victimes j’étais toujours un catholique, mais en même temps j’étais un juif. Cela laisse un certain malaise.
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