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Ville Cruelle - Eza Boto

Ambivalence de l’espace-village chez Eza Boto

lundi 26 mai 2008 par Nadia Bouziane

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Les apôtres de la négritude font du village un espace mythique puisque c’est le lieu qui recèle les valeurs africaines authentiques.

Pour Léopold Sédar Senghor ou Léon Damas c’est au village que peut se purifier l’africain car c’est un lieu originel qui n’est pas encore souillé par des comportements ou des idées venues d’ailleurs.

Eza Boto n’a pas totalement adhéré aux idées qui ont tendance à mythifier le village. Dans Ville Cruelle, il est appréhendé comme un espace où habitent les hommes avec tout ce qu’ils peuvent avoir de bon ou de mauvais. Les villageois ont certes un grand respect pour les valeurs africaines comme la vertu et l’entraide mais ils ont aussi leur part de méchanceté et de dévergondage.

En raison de ses dimensions importantes, le roman se permet d’indiquer au lecteur où et quand se déroule l’action rapportée. En effet, une grande importance est accordée à ce que Mikhaïl Bakhtine a appelé chronotope à savoir l’espace-temps. Chaque romancier est sensible aux rapports qui existent entre ses héros et le décor où ils évoluent.

Dans Ville Cruelle, la chronologie n’a guère d’importance puisque Eza Boto se contente de situer l’action dans les années trente : « Une matinée de février 193… ». De même il refuse toute linéarité et il ne respecte pas la succession des faits rapportés. D’où les retours en arrière par lesquels il ramène le lecteur à la vie antérieure de Banda. Ce refus de la linéarité s’observe également par de multiples anticipations. Par ces deux procédés, Eza Boto manifeste donc sa volonté d’échapper à la chronologie et au temps.

Si l’auteur ne se soucie guère de dater son récit, il ne manque pas par contre de le situer puisqu’une grande importance est accordée à l’espace. Cet espace n’est pas limité, il est plutôt ouvert et il présente plusieurs degrés d’ouverture qui laissent le héros libre d’aller et venir. Ainsi, l’action ne se déroule pas en un lieu unique mais en différents endroits, à la ville mais aussi au village en l’occurrence Bamila qui se présente comme un espace simple sous forme de « deux interminables rangées de cases des deux côtés et le long de la route. » (Eza Boto, Ville cruelle)

Cette disposition est emblématique. Elle est à l’image même des habitants de Bamila. D’un côté il y a Régina, Sabina et « toutes ces femmes généreuses et dévouées » qui adoucissent l’image du village aux yeux de Banda. D’un autre côté il y a tous ces anciens qui lui rendent la vie impossible.

« Mais n’importe comment, il ne pourrait plus continuer à vivre à Bamila, après sa mère. On ne peut pas vivre dans un grand village, comme Bamila, dont tous les anciens te détestent et dont tu détestes tous les anciens. Non, on ne peut même pas vivre dans un village des environs, leur haine t’y suivrait… » (Eza Boto, Ville Cruelle)

Bamila est souvent décrit par opposition à Tanga ou Fort-Nègre.

« Qu’est-ce donc qui valait mieux, Tanga ou Bamila ?... Bamila ou Tanga ?... Bamila ou Fort-Nègre ? Il avait habité à Tanga qu’il connaissait bien et il ne pouvait imaginer Fort-Nègre qu’à l’image de Tanga, quoiqu’en plus beau. Qu’est-ce qui était préférable, Bamila ou Tanga ?... Bamila ou Fort-Nègre ? »

Contrairement à Tanga ou Fort-Nègre qui présentent des structures labyrinthiques avec beaucoup de rues et de ruelles, Bamila présente une structure simple. Même si l’auteur ne fait pas une longue description du village, les éléments auxquels il fait référence montrent que Bamila est différente de Tanga d’abord par le calme qui y règne :

« Bamila dormait, allongée paresseusement au sein de la forêt (…) Bamila la farouche, dormait et se laissait aller (…) les cases étaient silencieuses et obscures. »

Ensuite par l’esprit communautaire de ses habitants :

« Ce qui est arrivé à Koumé, se dit-il, si ça s’était produit à Bamila (…) tout le village aurait pris fait et cause pour lui, même s’il ne l’aimait pas trop auparavant : c’était déjà arrivé plusieurs fois. Tandis que’ à Tanga, l’événement était à peu près inaperçu. »

Dans le village africain la vie est essentiellement communautaire. Ainsi, dans Ville Cruelle, Bamila est surtout décrit à travers l’esprit communautaire de ses habitants. A chaque fois que le héros Banda fait référence à son village natal il ne peut s’empêcher d’avoir une pensée émue pour Sabrina, Régina et toutes les autres femmes qui sont l’exemple de la générosité et du dévouement.

A Bamila, il n’y a pas que Tonga et tous ces anciens qui s’acharnent contre Banda, il y a aussi des femmes « généreuses et dévouées » dont le seul souvenir rendait difficile le départ pour Tanga.

« Ouais ! Ces femmes, Sabina, Régina, elles ne se lassaient pas de soigner sa mère. A Tanga, qui l’aurait soigné ainsi ?... Il était bien résolu à quitter Bamila après la mort de sa mère, mais il pressentait déjà que rien qu’à cause de ces femmes-là, il aurait une nostalgie éternelle de son village natal. »

En pensant à elles, Banda ne peut s’empêcher de penser à « l’indifférence absolue, la cruauté des habitants de Tanga-Nord. ». Si sa mère avait été malade en ville, elle n’aurait eu personne à son chevet pour s’occuper d’elle. Tandis qu’à Bamila toutes se relayent auprès d’elle pour la soigner et la nourrir.

« A cette question, lui revenaient aussitôt à l’esprit toutes ces femmes généreuses et dévouées qui, à longueur de journée, se relayaient au chevet de sa mère pour la soigner, pour lui tenir compagnie, pour la consoler, pour lui rendre la vie un tout petit peu plus agréable. »

Ces femmes font preuve d’une grande générosité lorsqu’il s’agit d’aider Banda à transporter son cacao. Elles n’hésitent pas à porter de lourdes charges, à faire tout le trajet jusqu’à Tanga et s’inquiètent du sort de Banda.

« Il (Banda) se retourna vivement et la considéra. Tiens ! Elle était inquiète comme lui-même. Et les autre ? Il les scruta successivement en se penchant vers la chaussée pour mieux les voir. Ma foi, se dit-il, les voilà craintives toutes. »

Lorsque les gardes régionaux se ruent sur Banda pour le battre, les cinq femmes qui l’avaient accompagné « s’interposèrent courageusement ». Elles ont déployé tous les moyens pour l’arracher aux griffes des gardes. Sabina prétendit même qu’il était son fils.

Quand Banda pense à Tanga ou à Fort-Nègre, il ne peut s’empêcher de penser aux femmes de Bamila qui, selon lui, n’existent nulle part ailleurs.

« Il songeait à toutes ces femmes et ils n’arrivait pas à en détacher son esprit. Il n’y avait, à Tanga, rien de pareil à ces femmes-là, rien du tout, ça il le savait. A Tanga, rien ne ressemblait à ces femmes-là ; et à plus forte raison à Fort-Nègre ? ».

Ce type de personnages féminins existe dans d’autres romans de Mongo Béti. Ainsi, dans Remember Ruben, lorsque Mor-Zomba entreprit de construire sa propre demeure, excepté son ami Abéna, aucun homme du clan ne vint lui prêter main forte, mais ce sont les femmes qui lui offrirent leur aide.

« Alors, une horde de femmes s’abattit, sembla-t-il, sur les deux amis, poussant des clameurs, s’esclaffant, se bousculant, chantant, gesticulant, découpant la terre malaxée avec la main, portant les mottes aux pieds de leurs compagnes postées le long des murs et qui garnissaient aussitôt les clayonnages avec dextérité ; elles creusaient la terre, versaient l’eau, malaxaient, couraient, dépossédaient les deux hommes de leurs outils… » (Mongo Béti, Remember Ruben)

La cité d’Ekoudoum qui, jusque là, avait boycotté Mor-Zomba, l’avait donc « finalement assisté(…) grâce aux femmes, il est vrai ; mais c’étaient bien des femmes du clan et elles avaient travaillé avec une telle fougue qu’une seule journée leur avait suffi pour maçonner les quatre murs extérieurs de la maison. » (Remember Ruben)

Dans le même esprit de collectivité et d’entraide, bien que connaissant les dangers qui guettent toute personne qui aiderait Koumé, Banda se porte immédiatement au secours du jeune mécanicien.Pour cela il va affronter de nombreux périls. Après la mort de Koumé, Odilia opère un transfert affectif instantané. Ainsi, Banda deviendra un substitut du frère pour elle. Le jeune villageois, bien avant de voir en elle sa future femme, prend Odilia en charge et la ramène chez lui.

Le village africain tel qu’il apparaît dans Ville Cruelle est un espace d’authenticité et de vie collective. Cependant, il est sarcastique envers les « ancêtres » qu’il juge trop soumis. Ville cruelle est surtout une critique acerbe contre les injustices des colonisateurs dans les villes ou celles des personnes âgées dans les villages.

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