lundi 4 février 2008 par Odile de Paillerets
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Roman
Editions du Seuil, 2006, 230 pages
Prix Renaudot 2006, Prix Aliénor d’Aquitaine 2006, Prix de la rentrée littéraire française 2006
L’auteur est né en 1966 au Congo Brazzaville ; il a fait des études de droit au Congo puis à Paris ; conseiller juridique dans une grande entreprise française pendant dix ans, il publie des poèmes puis un roman : Bleu - Blanc- Rouge, (Présence Africaine 1998) qui reçoit le Grand Prix littéraire de l’Afrique noire. Devenu enseignant de littératures francophone et comparée aux Etats-Unis, il publie au Seuil Verre Cassé puis Mémoires d’un porc-épic. On peut consulter son site sur le net : www.alainmabanckou.net
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Pour qui aborde Mémoires de porc-épic sans connaître son auteur ni son œuvre précédente, ce livre se présente comme un conte africain, plus long que ceux dont nous avons l’habitude, une histoire de double animal d’un initié lui-même dédoublé, un méli-mélo de sorciers, de féticheurs, de revenants, mettant en scène un village traditionnel d’Afrique, propre à réjouir les ethnologues. Mais, très vite – et l’épisode hilarant du passage des ethnologues nous le confirme au cas où nous ne l’aurions pas encore compris- nous découvrons que nous sommes en face d’une oeuvre raffinée, maniant savamment l’humour et l’ironie.
Le récit se déroule aussi aisément que sa ponctuation qui bannit l’arrêt du point au profit de la souplesse des virgules, donnant au texte l’allure nonchalante du temps « hors temps » des contes et légendes. Tandis qu’au rythme lent du village paysan se pressent les événements et les meurtres en série, le romancier nous amuse, nous fait rêver, mais nous donne aussi maints sujets de réflexion : relativité des notions de civilisation, de la tradition, fragilité des rapports entre sagesse et superstition, similarités des « fondamentaux » des valeurs et des imaginaires de l’Europe et de l’Afrique, etc..
En fin de compte, rien n’est simple dans ce conte centré sur les rapports complexe du maître humain et de son double animal raisonneur et peureux, docile agent de meurtres dont il commente l’absurdité. Sans jamais cesser d’être drôle dans ses détails comme dans sa mécanique, c’est un récit de la méchanceté des hommes, toujours prêts à s’épier et se trahir, à se soupçonner et à tuer, dans une folie meurtrière dont la faim ne peut s’apaiser et qui se nourrit d’elle-même jusqu’à se retourner contre son origine. Dans ce thriller folklorique, le serial killer sera sa dernière et sa propre victime.
Face au pouvoir du mal se présentent des contre-pouvoirs : sagesse de certains anciens, influence bénéfique du combat lucide que mène la mère de l’initié pour retarder l’échéance de la tragédie, dérisions et formules magiques de la vieille sorcière du village, pouvoir inattendu de l’innocence sacrifiée et de l’enfance. Mais surtout puissance de la nature africaine que personnifie le silence serein du baobab qui reçoit les mémoires du porc-épic, baobab devenu le réceptacle de la mémoire universelle, spectateur du bien et du mal, du courage et de la lâcheté, témoin de la curieuse comédie humaine de ces cousins des grands singes.
Odile de Paillerets-Fischer février 2008
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