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Les femmes de J.-B.

"Elles" de J.-B. Pontalis, Gallimard 2007

lundi 21 mai 2007 par Mariane Perruche

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Après "Le Dormeur éveillé" (Mercure de France 2004)et "Frère du précédent" (Gallimard, 2006), J.-B. Pontalis poursuit sa quête de l’intime.

L’interrogation de Freud sur la femme se trouve aux origines de la théorie psychanalytique : mais que veulent donc les hystériques ? Cette interrogation s’est perpétuée comme en écho jusqu’à la fin de son œuvre avec la fameuse expression du « continent noir » de la sexualité féminine, marquant sans doute à tort le questionnement freudien du sceau de l’indicible et le condamnant au ratage. On peut lire dans le dernier ouvrage de Pontalis une volonté de rouvrir le questionnement freudien, en se plaçant non plus du côté de l’expérience analytique, mais résolument du côté de l’expérience amoureuse. C’est une position courageuse et hétérodoxe.

D’emblée, ce -s accolé à « elle », ce pronom personnel que l’on a l’habitude de voir au singulier en couverture d’un magazine féminin, résonne comme une promesse. Lacan disait que la femme n’est pas toute, pour Pontalis "elle" sera donc multiple. En écho aux Femmes [1] de Philippe Sollers, ce « elles » au pluriel annonce que J.-B. Pontalis n’a pas été l’homme d’une seule femme. Mais qui sont-elles donc, ces femmes ? Les mille et trois femmes de J.-B. ne sont pas ses hystériques. Nulle patiente ici. Mais plutôt des impatientes, des femmes de désir : celles qu’il a couchées sur papier vélin et sous la fameuse couverture blanche à liseré rouge qui en fait toujours fantasmer plus d’une. Le chapitre d’ouverture nous en avertit : Pontalis a décidé de se faire du cinéma, ou plutôt son cinéma. Femmes stars, femmes de toile, femmes modèles de peintre, mais jamais femmes en papier glacé. Il a beau nous dire que c’en est fini, et que sa passion pour « elles » se décline désormais au futur antérieur, on voit tout de suite l’ambiguïté d’une telle proposition.... Car quel adieu !

Cela peut ressembler d’abord à la fameuse liste de Leporello, « mille e tre », chapitre après chapitre : celle qui l’a troublé, celle qu’il n’a jamais eue, celle qu’il a « connue » en Egypte, celle qui lui a échappé, une autre qui était actrice. Passions fugitives, ou dévorantes, femmes éphémères, ou femmes fatales, autant de femmes plurielles qui ont croisé la route de celui qu’on imaginait plutôt comme « L’homme immobile » [2], dans son fauteuil, psychanalyse oblige.....Mais J.-B a beaucoup voyagé. Et continue de voyager en rêve. Une exception cependant pour celles qui ne sont plus : la morte amoureuse lui fait horreur : « Je me refuse à palper et à étreindre la mort ».

Ce voyage dans le passé sentimental dérive vite vers la passion amoureuse en littérature. Après les pages assez attendues sur les premiers émois devant la découverte du corps féminin et sa « petite différence », Pontalis se livre à une sorte de vagabondage littéraire et sensuel. Qu’est ce qui fait courir les écrivains derrière une œuvre ? Et Pontalis après les femmes ? Les deux quêtes sont identiques répond Pontalis en passant de l’une à l’autre. Car celles qu’il a croisées autrefois et passionnément enlacées sont devenues femmes de papier. Par delà cette quête du féminin, se profile dans l’ombre l’image du corps maternel autrefois convoité et que les signes couchés sur le papier désignent comme définitivement perdu.

On a beau connaître les dernières œuvres de Pontalis , on reste toujours étonné de ce tour dans lequel il est passé maître : nous parler du plus intime tout en restant d’une élégante discrétion. Plus il semble se livrer en parlant d’ « elles », et plus « il » nous échappe.

Mariane Perruche
Mai 2007


[1Gallimard, 1985

[2Titre d’un article de J.-B. Pontalis paru dans Perdre de vue, Gallimard, 1990



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