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Radiation

Guy Tournaye, Editions Gallimard, L’Infini, 2007

lundi 7 mai 2007 par Alice Granger

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Finalement, après avoir mis cinq ans à sortir d’un engrenage consécutif à un CDD de deux mois renouvelable comme consultant ou chargé de mission dans un cabinet de conseil en organisation et stratégie d’entreprise qui va l’amener à saisir les prud’hommes, Franck Valberg le héros de cette fiction, en fait absolument réfractaire au travail obligatoire, s’étant retrouvé par une erreur d’aiguillage dans une école de commerce dans les années 80, puis ayant travaillé pendant un an comme chargé de mission dans la fonction publique, travail dont il démissionne après avoir décroché une conséquente bourse d’étude financée par une fondation privée, coquette somme qu’il va faire fructifier en achetant des Orvalor puis des Sicav, peut enfin, un joli chèque en mains qui peut grossir sur les marchés financiers, sortir du dispositif, prendre le large. Le cabinet de conseil en organisation et stratégie d’entreprise a finalement dû faire ce chèque donnant les moyens à ce réfractaire au travail obligatoire de prendre le large. Sans attendre, comme tout le monde, l’âge de la retraite. Il inaugure cette autre possibilité : au lieu de viser le repos définitif de la retraite bien méritée, après une vie laborieuse, pourquoi ne pas prendre le charge de temps en temps, sortir du dispositif, se donner cette liberté au cœur même de la dite vie active ? Pourquoi ne pas déplacer la valeur sacrée et méritante du travail avec cet aspect moral si dissuasif sur une autre valeur, celle d’une vie libre, une vie ayant échappé aux mains d’une sorte d’avidité fondamentale retenant la machine humaine dont elle a besoin en ayant en même temps le droit d’en faire en puissance un déchet à visage de retraité ?

Franck Valberg, le héros de cette fiction, faisant travailler l’argent de la bourse qu’il a obtenue en banque, doit pendant ce temps vivre d’expédients pour subvenir à ses besoins. Déjà, il ne pense pas à sa retraite, qui exigerait un emploi stable, bien rémunéré, d’être bien pris dans le dispositif, de bien correspondre, docile et consentant entre les mains de l’avidité. Lui, il vit de piges, d’études pour des cabinets, de CDD, sous l’œil ironique de ses copains de promo. C’est chaotique. Il échappe totalement aux mains de l’ambition, au formatage, il choisit autre chose. La bourse d’étude a été comme une main tendue de cet autre chose. Le moyen de faire un pas de côté, de prendre un chemin de traverse, de sauter. Placer cet argent pour se donner les moyens d’échapper. Les CDD et les emplois précaires ne visent qu’à augmenter les droits au chômage. Toujours l’objectif de se constituer les moyens de sortir du dispositif du travail obligatoire non pas à l’âge de la retraite mais au cœur de l’âge de la vie active. Il travaille juste ce qu’il faut pour se constituer des droits au chômage, il subvertit le système du chômage. A travers l’image du chômeur touchant ses droits, puis celle du Rmiste, avec par ailleurs les revenus résultant du placement de l’argent sur les marchés financiers, s’impose un tout autre choix de vie. C’est maintenant que cet homme entend profiter d’une oisiveté dont seuls les vieux méritants d’une vie de travail scrupuleusement accomplie devraient jouir. Le héros de cette fiction semble, lui, trouver que c’est trop tard, la retraite, qu’on devrait pouvoir goûter des intervalles de cette oisiveté avant, à des moments choisis. Et lui, il fait en quelque sorte un forcing, en saisissant les possibilités qui existent dans notre société. En fin de compte, au bout de cinq ans, il réussit à gagner sur le cabinet de conseil qui, en l’embauchant pour un CDD, a commis un certain nombre d’infractions au droit du travail, par sa ténacité il s’avère plus malin que son employeur. Il a réussi à l’obtenir, à l’arracher, ce chèque ! Pour quelque temps, il se tiendra à des années lumière du monde du travail. Ce que la plupart des humains attendent toute une vie de labeur, lui s’est donné la liberté d’en jouir maintenant, par intervalles, sans états d’âme.

Alors ce texte, bien sûr, va décrire l’autre face, les vicissitudes que font subir aux gens qui travaillent ou sont à la recherche d’emploi les entreprises, les cabinets de conseil, le marché de l’emploi, le système politique ou les Assédics. Quel profil on a. Prise en mains. On s’occupe d’eux, on va encore, c’est sûr, faire mieux. Il y a différentes grilles, et on rentre dans celle-ci, celle-là, ou encore celle-là. Tout bien défini. Et telle entreprise recherche tel profil. Il faut correspondre à tel ou tel profil. Clef et serrure. Vous correspondez à nos besoins, ou bien désolé. Quand nous n’avons plus besoin, désolé. Ensuite le chômage, puis le RMI. Profil, aussi. Vous êtes une clef, à quelle serrure pouvez-vous correspondre ? C’est la serrure qui décide. Et vous, en puissance vous êtes un déchet. En attendant, vous avez telle et telle facilitation, aides. Et soyez sûr que les politiques, de droite comme de gauche, s’occupent du retour au plein emploi. De l’égalité des chances.

Et là, dans ce texte, quelqu’un ose dire que non, il n’est pas un déchet en puissance, c’est lui qui décide de suspendre le contrat avec le monde du travail, non pas la vieillesse, non pas la toute puissance des employeurs, mais moi, certains intervalles je me donne la liberté de ne pas vous être soumis, de ne pas être la clef pour votre avide serrure. Je travaille lorsque je le décide. Je travaille pour me donner les moyens de sauter hors du dispositif. Je n’attends pas d’être vieux. Vous, le dispositif, vous avez fait un calcul sur moi, vous avez calculé mon addiction au travail, mon sentiment de culpabilité me convaincant de ne mériter ce décrochage dans l’oisiveté que vieux, mais en réalité, c’est au contraire moi qui ai fait un calcul sur vous. Bien sûr, aux prud’hommes j’ai commencé par perdre. Mais je n’ai pas lâché ! Au bout de cinq ans, je vous ai vaincu. Mon choix de vie s’est imposé. Pourquoi, de temps en temps, ne pourrions-nous pas nous offrir une année sabbatique, plutôt que tout garder pour la fin ? Belle idée, dans ce livre... !

Alice Granger Guitard



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