Amélie Nothomb
Alain Bauer
Jean-Marie Rouart
Philippe Sollers
Dana Shishmanian
Angueliki Garidis
Agnès  Clancier
Annie Le Brun
Rika Benveniste
Petros Markaris

24 ans !




Accueil > BEAUX-ARTS > Le langage de la matière. Christiane Apprieux

Le langage de la matière. Christiane Apprieux
dimanche 16 juillet 2006 par Calciolari

Pour imprimer


L’œuvre picturale de Christiane Apprieux s’éclaire comme un diamant sur l’étoffe inconnue de la nouvelle ère artistique. Elle est le concentré le plus admirable de ce qui pousse encore plus loin l’exigence de l’approche originaire. Infiniment complexe et simple, suspendue et donc fertile en surprises, presque invisible bien que prodigieusement différente dans ses effets figuratifs, elle se propose à l’écoute, et non plus au silence ou au bourdonnement des décorations.

L’œuvre « La voie étroite » est l’index de l’itinéraire qui va de la complexité à la simplicité.

Son œuvre indique sans aucun doute qu’à trop éliminer la pulsion de destruction, comme source de l’écriture, cela correspond à s’éloigner de chaque politique de la vision, celle sans plus d’aspect spectaculaire, au profit d’une sorte de vision du monde sans descendance, l’autre nom de la quotidienneté artistique.

Le paradoxe de Christiane Apprieux est en effet d’offrir l’appât à un programme pictural dont en effets ses oeuvres semblent légitimer la proposition, déployé aussi par une multitude d’acteurs, mais dont l’effet sensible de son œuvre - le chiffre de son abord - s’efface dans le même moment dans lequel il s’écrit. Il demande ensuite une autre lecture, qui ne soit pas immédiate. Dans le palimpseste « Hommage à Chagall » l’image est dogme et il y n’a pas de code de signification pour le déchiffrer ; pourtant, en lisant, quelque chose commence à s’entendre.

À propos de la destruction de l’image, la tendance de Christiane Apprieux n’est pas celle de la soustraction qui cherche l’image minimale, mais l’instauration du simple trait originaire dans sa matière et dans son langage essentiel, avant encore de devenir la langue d’Adam, la langue humaine. Le simple trait, non plus imaginatif, non plus l’image tandis qu’elle disparaît, comme en « Tension ».

"Tensione", 2003, acrilico su juta, cm 49,5x49,5

Métaphore du refoulement est le geste d’ôter des parties de plages de couleurs après les avoir appliquées. Quel soulagement ! Plus l’artiste enlève et plus l’œuvre grandit. La distraction, plus que la soustraction, résulte de la condensation, du relief qui indique combien le procès de destitution de la ressemblance et de l’image est poussé jusqu’à la dissipation même de chaque croyance. Telle est, par exemple, « Sérénité ».

L’œuvre de Christiane Apprieux possède en son cœur un art de la raréfaction, de l’obtention des effets les plus minces et les plus durables, non pas avec une posture agressive à la rencontre des formes héritées par la tradition, mais pour signes allusifs qui disposent ces formes sur le bord du vide, dans un réseau de coupes et de disparitions qui rendent dans un autre peinture la leçon de Fontana et de Giacometti.

L’abstraction de Christiane Apprieux n’a aucun intérêt pour la reproductibilité technique de la représentation du monde. L’œuvre n’accepte ni ne refuse la représentation. Ce n’est pas l’image qui est sacrifiée pour que le réel arrive dans le geste artistique, comme dans beaucoup d’iconoclastie contemporaine. C’est la représentation qui se dissipe avec l’instauration de l’image, celle qui appartient à l’originaire, au sacré de la parole, au-delà de la consécration et de l’exécration de l’image, comme dans l’oeuvre « La vague ».

Si chaque avant-garde déclare une rupture formelle avec les schémas artistiques antérieurs, la peinture de Christiane Apprieux indique l’absence de necessité de la militarisation de l’art, et de son virilisme, et de son autre figure, apparemment apanage du femminilisme, celle de la religiosité de l’art.

Bien plus que d’être porteuse d’un pouvoir de destruction du consentement formel, qui dans un moment donné définit ce qui mérite le nom d’art, l’œuvre picturale de Christiane Apprieux rend vain les catégories de consentement, bon sens et sens commun. L’unicité ressort des oeuvres et le sens résulte contre-sens. Freud l’appelait aussi sens sexuel. Apparemment, c’est-à-dire que dans le monde présumé de la ressemblance et de la diversité d’un modèle dominant, les oeuvres de Christiane Apprieux n’ont aucun sens, notamment pendant que leur lecture fait tomber le sens dans le quiproquo. Chaque lapsus de lecture - dans une distance infinie de la multiplicité présumée des opinions - noue le lecteur dans un procès d’errance et de dérive sur la toile de la vie en direction d’un autre chiffre : « Lumières parallèles ».

L’algèbre et la géométrie de chaque critique d’art ne savent pas où s’accrocher pour décoder et déchiffrer l’œuvre de Christiane Apprieux. L’enjeu de la rupture formelle, aimée par l’idéologie française de l’époque des ruptures, présumées révolutionnaires, reste invariant, ou bien elle est l’autre figure de la variabilité de la variable inconnue, celle de la fonction de mort. Ce projet, aussi postmoderne, de mort de la matière est écarté par le langage de la matière de Christiane Apprieux. Langage originaire, qui ne nécessite plus - parce que ce besoin n’a jamais existé - de détruire l’ordinaire pour résulter extraordinaire. L’originaire est celui de la vie absolue, exempte de chaque dissolution, aussi celle du transfert poursuivie par le psychanalyste François Perrier. L’œuvre « La tempête, l’eau, l’automation » répond à cette question qui était restée en souffrance.

Le trait qui émerge dans les œuvres de Christiane Apprieux est au-delà de l’amour ou de la haine pour les images. Aucune idéalité géométrique et aucune réalité algébrique qui appliquées aux images produise l’autre image, l’image prise dans la variation artistique. En autres termes, la bonne et belle peinture académicienne même pas au potentiel infini atteint la brièveté conclusive et le chiffre, qui est originaire dans chaque œuvre de Christiane Apprieux. Œuvres d’une ingénuité absolue, face aux peintures astucieuses forgées pour les intérêts commerciaux : « Il y n’a plus de géométrie ».

À Christiane Apprieux n’échappe pas que l’acte d’aller plus loin dans l’éradication de la ressemblance, du représentatif, du narratif ou du naturel, correspond même à reproduire la ressemblance, la représentativité, la copie...
L’originaire de chaque élément de la peinture de Christiane Apprieux va en direction de la qualité et non plus en direction de quelque chose d’autre qui serait à approcher ou à éloigner.

La peinture de Christiane Apprieux influence vers une politique pragmatique plutôt que vers une logique réaliste ou anti-réaliste, qui est une forme d’immobilisme. Il s’agit chaque fois de conclure dans le bonheur des images et non plus de reprendre l’esthétique de Kant avec de nouveaux fruits, qui fait du beau le signe d’une harmonie de nos facultés - dans le sens de facilité - elle même synthétisée dans un jugement réfléchissant, et encore moins il s’agit du mouvement actuel qui voudrait en finir avec les fils bâtards - dans le sens d’hyper-légitimes - de la même esthétique, en entendant aller contre l’harmonie en tant que réalité postiche d’un réel inharmonieux. Voilà un au-delà de l’objet esthétique de Kant : « La forêt de cuivre ».

Aucune polémique, comme celle des avant-gardes, qui s’est même poussée jusqu’à la promotion de tout ce qui antérieurement a été pris pour laid, pour aller contre l’axiome classique qui croit en l’existence de formes plus naturelles, plus appropriées, plus agréables que d’autres. Le geste pictural de Christiane Apprieux ne va pas contre non plus ces gestes, mais plutôt il complète la leçon de Marcel Duchamp sans l’assimiler, sans non plus la reproduire, en restituant l’instance de chiffre, de qualité absolue qui n’a pas plus de besoin de certifications sociales, les mêmes contre lesquelles la plaisanterie - non seulement de Duchamp - est devenue un art socialement reconnu. Le long de cette absence de polémique nous rencontrons « Le trajet ».

Il n’y a certainement pas une intelligibilité syntaxique immédiate dans le langage de la matière de Christiane Apprieux, sans pour cela présumer que dessous (ou derrière) agisse un grand dispositif anti-formel, précisément antithétique aux grands dispositifs formels, tels étaient devenus la tonalité en musique, l’illustration en peinture, l’anthropologisme en sculpture, la lisibilité syntaxique en poésie, l’axe continu-discontinu : animal-homme-démon-dieu en philosophie.

Avant-garde veut dire groupe, militaire, et aussi religieux, donc comporte la pulsion grégaire, la croyance dans le troupeau, qui Freud n’hésite pas à qualifier d’inexistant, comme plus tard Lacan fera à propos du rapport sexuel, dont résulte une délimitation du grégarisme.

Aucun groupe, non plus d’avant-garde ou de trans-avantgarde ne peuvent exercer une hégémonie sur le travail pictural de Christiane Apprieux, qui ne respecte aucune agrégation de chapelle, de cellule, de clan ou d’académie.
Si aucun consentement ne peut s’exercer sur les oeuvres de Christiane Apprieux, pourquoi rejeter le consentement sur ce qui est accrédité ou non comme critère du goût ? Ses œuvres sont bien plus que des objets artistiques qui circulent comme exceptions aux règles ordinaires.

Extraordinaire c’est l’arithmétique du langage de la matière de Christiane Apprieux, sans aucune prétention d’une production solitaire d’œuvres géniales, qui est l’appât de chaque phalloforie sociale. L’arbre de Christiane Apprieux est infiniment distant de l’arbre de la connaissance du bien et du mal : c’est l’arbre de la vie.

Si Christiane Apprieux ne s’occupe pas du présent de ses œuvres, ce n’est pas parce qu’elle confie dans une production d’éternité dont l’avenir sera le juge. Ses œuvres sont simplement dans le voyage originaire de la peinture, non sans faire remarquer que le déplacement géographique fiévreux d’objets socialement crus artistiques ne certifie pas que ceux-ci se trouvent en voyage.

Inontologique est le langage de la matière de Christiane Apprieux. Sa matière même reste sémantiquement incodifiable. Affirmation, imposition, influence. Sens, savoir, vérité. Effets du langage de la matière. Propriétés du mot et non pas facultés humaines. Son harmonie n’est pas exemptée par l’inharmonie, en tant qu’aspect de l’ouverture de la vie.

Les choses naissent et renaissent dans le langage de la matière et elles ne se créent pas ni se récréent pas dans la substance et dans la mentalité du monde. Les œuvres de Christiane Apprieux naissent et s’instaurent dans le langage, dans la matière et dans la dimension des images, sans craindre de s’évanouir avant de naître ou de devoir se concentrer plus dans un geste de l’artiste que dans son résultat, comme est le cas de l’action-painting, dans ses formes différentes.

Il y n’a pas métalangage de la matière. Il y a la nuit de la nomination, le matin de la signification et le fil du crépuscule de la chiffrétique du plaisir, l’énigme de la vérité : « L’énigme ».

Christiane Apprieux est artiste d’une modernité absolue, son œuvre n’appartient pas à la contemporanéité, au synchronisme des artistes comme bras biunivoque du corps social pensant, qui aujourd’hui se pense comme critique du fétichisme du résultat, avec ses corollaires de mystère et de secret de la substance mirabile. L’œuvre est ce qui reste, tel c’est la notion d’œuvre de Christiane Apprieux, qui n’admet pas le discours des résultats et leur partie double, qui manque l’unicité. En tel sens, le langage de la matière de l’artiste est au-delà de chaque connaissance possible ou impossible des choses. Ironique le « Pictogramme » qui ne fournit aucune clé d’accès pour une vie grammaticale.

Le superflu qui se découpe des œuvres de Christiane Apprieux rend vain la discussion sur l’inutilité ou sur l’utilité des objets artistiques. La maison sans œuvres, blanche, annonce les faits divers, le genre noir.

L’objet esthétique est miroir dans l’œuvre de Christiane Apprieux, qui empêche chaque spécularisation sociale, qui laisse l’esthétique personnelle et sociale à leur nature de pseudo esthétique du quotidien et de l’anti-quotidien qui peuplent les supports qui sont appellés journaux, d’où il ne se trouve presque pas de trace du « jour » originaire.

Le langage de la matière de Christiane Apprieux, sans ombre devant, sans compromis avec les idéologies, résulte léger, libre, heureux : « La pluie de Dieu ».

Giancarlo Calciolari

TRANSFINITO

Copyright e-litterature.net
toute reproduction ne peut se faire sans l'autorisation de l'auteur de la Note ET lien avec Exigence: Littérature

Un message, un commentaire ?

Forum sur abonnement

Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.

Connexions’inscriremot de passe oublié ?