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Les racines à fleurs

Jean-Paul Comtesse, Editions Monographic, 2005

lundi 9 janvier 2006 par Alice Granger

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Jean-Paul Comtesse écrit toujours de manière très poétique, et c’est encore le cas avec ce roman. Jérôme, le héros de ce texte, est littéralement l’homme qui convient pour donner de la matière et des images à un lieu originaire soudain éternel par cette reconnaissance qu’il met en acte par sa croyance à la puissance indestructible du féminin. Jérôme y croit, alors c’est lui qui, littéralement, donne tant de pouvoir aux femmes qu’il rencontre, Annie, Dionys, Pauline. Par lui, qui les reconnaît, à partir d’Annie, comme des initiatrices, s’ouvre le lieu où tout est symbole et dans lequel chaque femme prend l’initiative, l’attire dedans. Jean-Paul Comtesse, à travers son personnage de Jérôme, concède aux femmes un pouvoir total, il leur attribue pouvoir et mystère. Ce sont des femmes qui ont le jeu en mains, pas des hommes. Qui ouvrent le lieu originaire, le lieu mystère, le lieu d’une nidation inoubliable, planète bleue qui apparaît avec les images et la sensualité de la nature dans laquelle l’arbre plante ses racines et va fleurir. Femmes nature, terre dans laquelle Jérôme est comme l’arbre qui peut planter ses racines, ses racines à fleurs.

A Lourdes, où ils se rencontrent, Annie peut attirer à elle, dans son mystère, dans la maison de son grand-père, Jérôme, parce qu’elle sent qu’il a en puissance en lui cette vénération de la femme matricielle pour lui jamais séparée. Jérôme est un homme dans la croyance d’une non coupure du cordon ombilical. C’est un homme en puissance encore planté dans le lieu originaire, et cela se voit dans le fait qu’il apparaît en recherche, dans un temps ouvert, non installé. Annie, à Lourdes, reconnaît cela au quart de tour. L’apparition. Jérôme est un homme qui voit en puissance la femme qui détient le pouvoir d’intérioriser en elle, et de métamorphoser le lieu, ici l’Auvergne natale d’Annie, en métaphore matricielle dominante envoûtante. Soudain, parce qu’elle a saisi au vol que cet homme y croit encore, que cet homme est encore virtuellement à l’intérieur d’un ventre continué par la nature et la femme, que cet homme est précisément à Lourdes en train de prier espérer que miraculeusement cela s’ouvre, Annie retrouve son pouvoir de nommer autrement, d’animer la nature, l’intérieur. Elle a alors le pouvoir de tout nommer, de donner à la nature un pouvoir sensuel envoûtant, initiateur, elle attire dedans, ailleurs, elle est, enfin, ce lieu-là, éternel. Elle jouit d’être ce lieu et ce pouvoir si infini. Pour les deux femmes, la mère et la fille, Pauline et Dionys, que Jérôme rencontrera ensuite, dans le Jura, près de la frontière, Annie a été une créatrice, elle leur a donné le même pouvoir, après elle, elles sont pourvues de la même puissance, elles invitent dans leur lieu, dans leur intérieur, dans leur nature, Jérôme qui est toujours en chemin, ici tout lui fait signe, tout est symbole, tout est matriciel.

C’est Jérôme qui attribue à chacune de ces femmes, en commençant par Annie, tant de mystère envoûtant, tant de pouvoir de faire entrer dans la voûte. C’est lui qui les voit propriétaires d’une voûte, initiatrices invitant irrésistiblement dans une nature matricielle immémoriale. C’est lui qui leur accorde le pouvoir d’offrir l’humus dans lequel venir, telles les racines d’un arbre, s’enraciner. Tout dans ce roman inverse la séparation originaire. La séparation originaire est arrachement, est perte de l’enveloppe matricielle, est constat que cette matrice les femmes n’en sont pas propriétaires et que le temps de grossesse a une fin. Dans ce roman, entrent en scène des femmes, à partir d’Annie, par lesquelles le commencement, commencement d’une grossesse, d’un temps matriciel, n’aurait pas de fin. Commencement prétendu sans fin. Et pouvoir quasi mystique des femmes. Sacralisation. Femmes qui ont l’initiative et un homme qui se laisse saisir, happer, intérioriser, utiliser, initier. Femmes qui prennent et qui laissent. Et Jérôme, après Angelo l’homme de passage que connut Pauline, est abandonné par elles, laissé entre les mains de sa croyance, de sa vénération, non il n’a pas pu posséder ces femmes, au contraire ce sont elles qui ont intériorisé en lui la matière, matière poétique, d’une vénération dont, désormais, elles peuvent se sentir sûres, assurées, rassurées, puissantes.

Ce roman de Jean-Paul Comtesse est donc, nous l’aurons deviné, le roman du désir d’enfanter d’une femme. Annie est à Lourdes parce qu’elle veut enfanter, et que, jusque-là, ce fut impossible, à cause de son mari volcan éteint. Annie est à la recherche d’un géniteur. Annie veut à la folie être cette matrice dans laquelle une vie va s’enraciner. Elle veut ardemment coïncider avec cette nidation en elle, devenue toute nature et les racines de l’arbre s’enfoncent en elle, dans l’humus d’une nature qui surgit envoûtante de partout. En vérité, et comme le titre du roman l’indique, plus que l’enfant en lui-même, ce que Annie désire, c’est ce que cet enfant nidé en elle prouvera : qu’elle est elle-même une instance sacralisée, reconnue, vénérée. C’est elle qui veut, à travers la grossesse, être reconnue. L’enfant lui servira à ça. A être reconnue elle ! Reconnue pourvue d’un pouvoir total, mystérieux ! Les racines à fleurs sont les racines qui, seules, vont pouvoir faire s’épanouir les fleurs d’un narcissisme féminin imbibé de lui-même. Les racines sont ces enfants qui vont permettre à la mère de s’épanouir en fleurs. Ce n’est peut-être pas tant enfanter qu’elle désire, Annie... Ce qu’elle désire, c’est s’épanouir en fleurs, et enfanter va lui permettre cela. L’enfant, après le géniteur, va être l’outil de cette floraison.

Immense narcissisme féminin s’écrivant avec la perspective de devenir mère : « Tout ce qui n’est pas encore vivant et qui dépend de moi ! ». Mots d’Annie. Les racines font fleurir ses fleurs. Et elle en floraison peut alors incarner et matérialiser le lieu sensuel et poétique dans lequel le garçon pourra revenir comme s’il ne l’avait jamais quitté, inversant sa naissance. Pour que cette opération marche pour un garçon, il faut d’abord qu’il soit le « géniteur » d’une fille. Il faut d’abord que, par la grossesse, il ait fait fleurir l’éternel féminin par la maternité. Ensuite, cette femme reconnue femme par la maternité est prête à accueillir en elle, et dans le lieu qu’elle enchante et qu’elle poétise, l’homme redevenu garçon, enfant, remontant à son origine sous le ciel étoilé. Ce n’est pas par hasard que ce roman, en quelque sorte, découpe les différents temps de cette opération de sacralisation du féminin. D’une part cette Annie à Lourdes qui veut enfanter, et repère l’homme qu’il faut. Elle a obtenu en elle le germe, elle a réveillé par l’intermédiaire de cet homme de passage le volcan éteint qu’est son mari, en lieu de son mari impuissant elle a conçu avec un autre homme comme si c’était avec son mari, le but étant cette grossesse qui la sacralise elle, qui va la confondre avec la nature matricielle. D’autre part, il y a ces deux femmes, dans le Jura, que Jérôme rencontre après avoir perdu Annie resté avec son mari et surtout dans son état de grossesse, Annie qui a su se faire sacraliser par son absence. La mère et la fille. La mère jalouse de sa fille et fascinée par elle. Pauline avait conçu cette fille avec Angelo, lui aussi un homme de passage. C’est cet homme de passage qui avait fait fleurir, littéralement, la fille, que la mère retint incarnée, mère subjuguée par sa fille, en quelque sorte éternellement satisfaite de se voir ainsi en elle, le désir s’attisant de n’être pas elle, pas confondue à elle, la mère s’attardant à jamais dans cet état de tension entre sa fille et elle qui évite la précipitation en symbiose. Elle voudrait être sa fille, qui s’éclate tant, et cette tension narcissique est devenue toute sa vie, cadeau d’Angelo l’homme de passage, elle a près d’elle ce qu’elle désire être, et sa vie désormais ce sera de parcourir cet impossible précipitant la mère dans la fille, en s’éclatant.

L’homme, dans tout ça ? Il sert à Annie pour enfanter, et c’est par l’absence qu’elle préparera en lui sa place vénérée. Ensuite, logiquement, Jérôme reviendra près d’elle, mère de deux jumeaux et veuve de son mari. Les jumeaux se nommeront Nicolas (prénom du mari défunt), et Jérôme (prénom de l’homme de passage qui réveilla le volcan éteint). L’impuissance du mari, dite de cette manière si poétique, n’est pas du tout anodine dans ce roman. La puissance, ce sont les femmes qui l’ont ! Pas les hommes ! Le mari est un volcan éteint et derrière cette formule poétique la femme instance castratrice ne s’esquisse-t-elle pas ? C’est la femme qui est pourvue de puissance ! Et ainsi pourvue, elle va à Lourdes ! En ce lieu des miracles, elle va prier pour le voir apparaître, l’homme qui, en puissance, ne voit pas l’univers féminin, matriciel, comme perdu. Elle va le reconnaître entre tous, l’homme encore enraciné dans sa mère, qui jamais n’a intériorisé la perte de cette enveloppe matricielle. L’homme dans tout ça ? Il sert aussi, à travers Angelo, à enfanter une fille qui s’éclate. C’est sûr, ainsi vénérée, sacralisée, affublée de toute puissance, tout baigne pour la fille, son pouvoir est fabuleux, et elle accueille dans sa nature ouverte l’homme poétisé. Elle s’éclate, elle va se confondre avec la nature qui l’environne, qui la materne, elle sera toute sensualité, elle s’accouplera avec un sens si total ! Dans la planète bleue, bleue comme à l’intérieur de la matrice, avant la naissance.

Ce roman poétique et très bien écrit, bien sûr, n’envisage à aucun moment qu’une femme puisse au contraire inscrire au commencement la séparation et la perte matricielle et que la terre, alors, soit autre chose que la métaphore d’un ventre jamais quitté. Que de cela, elle n’en soit plus pourvue, une fois la naissance advenue, n’est pas pris en compte dans ce roman. C’est sans doute une autre réalité. Il reste que Jean-Paul Comtesse excelle à écrire la sacralisation du féminin.

Alice Granger Guitard



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