Fernando Arrabal, Editions LeCherche Midi, 2005
jeudi 20 octobre 2005 par Alice GrangerPour imprimer
Il est délicieux de laisser Fernando Arrabal nous présenter Michel Houellebecq. Si son père était, comme il l’a dit, « un con solitaire et barbare...Il ne supportait pas qu’un jour je le dépasse », il a sûrement d’autant plus béni l’amitié d’Arrabal qui est venue généreusement et sans crainte d’être dépassé par lui reconnaître et célébrer ce génie mutant dont s’occupe justement cette science spéciale, la Pataphysique. Arrabal est membre du collège de Pataphysique, cette « discipline qui sans aucune discipline propose des solutions imaginaires. Science du particulier qui ne se laisse pas bousculer par l’affirmation positiviste selon laquelle il n’y a de science que du général. En pleine sapience et démence !, elle étudie les lois qui régissent les exceptions et éclaire ou explique l’univers supplémentaire. » « En Pataphysique comme en amour , tout est possible pendant le temps immobile de l’éternel changement dans son dépouillement et son dénudement. ». Le collège de Pataphysique est « La galaxie la plus radieuse de l’univers. »
Il faudrait saisir, sans doute, à quel point sensible Michel Houellebecq est orphelin, jeté « au milieu du monde » vraiment dans le dépouillement et le dénudement de l’éternel changement, c’est-à-dire vraiment sur terre comme un être issu du traumatisme de la naissance, du déracinement originaire, ouvrant les yeux sur une géographie chamboulée, et y « vivre sans point d’appui entouré par le vide ». Y espérant l’amour, la bonté, la fraternité, l’altruisme, quelque chose pour relier les hommes entre eux comme une nouvelle sorte de religion, et heureusement certains, comme Fernando Arrabal, l’ont accueilli. Il faudrait sentir cette réalité rude du « milieu du monde », ce déracinement originaire irrémédiable, et là, d’abord le chaos, le dérangement total, c’est comme l’île de Lanzarote, à la géographie désespérante, et puis peu à peu grâce à un intermède sexuel, qu’on pourrait entendre comme une métaphore des soins donnés au corps du juste né, il s’aperçoit qu’il commence à aimer cette île, dont les paysages s’avèrent de plus en plus impressionnants. Comme quoi « On peut parvenir à la connaissance après être tombé dans l’abîme ». Arrabal nous fait remarquer que Lanzarote, c’est Lancelot en espagnol, et que Houellebecq y cherche aussi son Graal, une autre idée de la pureté. Un désespoir qui espère envers et contre tout, même si Michel Houellebecq a tant besoin de pilules pour vivre, et dormir, parce que ces pilules symbolisent les exceptions qu’il n’a pas renoncé à voir arriver dans sa vie si frêle, comme un arc-en-ciel. Peut-être cet espoir qui reste dans le désespoir est-il le message imprimé par la grand-mère exceptionnelle qui l’éleva, et qu’il espère voir revenir avec d’autres visages ?
Fernando Arrabal commence par évoquer le génie. Aptitude à faire quelque chose. De nos jours, c’est une qualité innée qui élève un nombre très réduit de mortels au-dessus de la norme. Nul doute que Houellebecq en fait partie ! « Les détracteurs du génie , bien souvent, reçoivent ce qu’il écrit « comme des coups de poings à l’estomac » ». Et, avec entre autres Houellebecq, « Nous sommes en train de vivre une très douloureuse renaissance littéraire, philosophique, poétique et scientifique. Toute renaissance est une naissance dans le sang, la sueur et les larmes. » Le mot « naissance » ne serait-il pas le mot pivot pour entendre Houellebecq ? Naître comme un déracinement brutal, se retrouver sur une terre à la géographie catastrophique, cataclysmique, volcanique, chaotique, désertique, et espérer éperdument l’amour, la fraternité, un espoir à la dimension du désespoir. Personne ne peut espérer, en direction du futur, s’il n’a pas traversé le désespoir. Laissez tout espoir, vous qui entrez ! Le génie et la douleur. « L’auteur peut passer alternativement de l’ingénieux à l’ingénu et au génie. » « L’ingénuité est le plus haut degré du génie, comme la bonté est le plus haut degré de l’intelligence. » « Le génie de l’écrivain est donc une longue impatience qui cristallise grâce à l’enrichissement de ce qui est ingénieux et surtout de tout ce qui est ingénu tout au fond de lui-même. » Ne faut-il pas apprendre à être ingénieux et intelligent, en commençant à vivre sur terre en partant du chaos et en espérant ? « Ses propres écrits lui enseignent ce que personne n’enseigne et qu’il est fondamental d’apprendre. » Personne ne prend par la main pour apprendre, comme une bonne maman matricielle, mais il faut apprendre de soi-même, dans une condition de solitude, et tandis que les autres existent. « La beauté est l’unique expression du vrai. » On pourrait dire, dans une épiphanie.
Le réel de Houellebecq est la terre chaotique originaire. Son instant de naissance, cet éternel changement, inconfortable au possible, il en est paradoxalement riche, il le saisit par l’impression de précarité qu’il donne de lui-même, non pas l’impression d’un installé qui transporte toute sa vie sa matrice avec lui. Alors, ne pourrait-on pas avancer que sa fantaisie du clonage est une façon de dire qu’il est possible de naître avec la même identité génétique un grand nombre de fois, l’instant de naissance se réitérant dans des contextes différents, des géographies différentes, mais toujours en commençant par une sensation infinie de chamboulement, et la même infinie demande lancée vers les autres, demande de vie, d’amour, de bonté, de générosité, tandis que la rudesse souvent désespérante sur cette terre fait préférer les pilules en désespoir de cause ? Pouvoir naître un nombre infini de fois, et d’autres mêmement que soi dans un événement gémellaire, cette fantaisie des clones, c’est-à-dire en restant riche de cette capacité à sentir la violente prometteuse sensation de naissance, n’est-ce pas aussi avoir foi en un meilleur des mondes, une paradoxale plénitude proche du ravissement car il y a de la bonté, de l’amour, de l’intelligence, de l’altruisme dans ce monde ? Houellebecq écrit : « Notre espèce pourrait être transformée par une autre immortelle, apparentée et reproductible par clonage. » J’ajouterais, pour pouvoir se cloner soi-même, vivre une infinité de vie, il suffit de conserver sa capacité à sentir le chamboulement de naissance, sa capacité à se sentir dérangé par les nouveaux contextes et les personnes nouvelles forcément dérangeantes par leur singularité, chaque fois c’est une naissance, c’est une violence merveilleuse riche de promesses et de découvertes. Si Houellebecq peut sembler si déprimé, si désespéré, c’est parce qu’il constate à quel point il y a peu d’habitants sur cette terre à avoir conservé cette capacité de naître, cette sensation abrupte de naissance, cette aptitude à se laisser être dérangé, déraciné, par l’autre, par les contextes différents. Alors, il faut aller faire du tourisme sexuel, cette euthanasie de l’Occident, comme palliatif à l’extrême douleur de ne plus pouvoir espérer l’amour en nos contrées.
Arrabal écrit de Houellebecq : « La joie de ce qui est plus fragile comble la pénombre vide de la vie. » « Houellebecq rêve d’une humanité « sans égoïsme, rages ou cruautés » ». Il souligne son extrême courtoisie, à quel point, depuis la première fois, la conversation est enrichissante et divertissante avec lui. « Il y a en lui une étrange transparence, comme si par moments son corps devenait soluble dans l’air, comme si sa voix si peu affirmée traversait des espaces interstellaires avant de nous parvenir. »
Très beaux poèmes d’Arrabal : « Je ne suis pas un souffle du / désespoir même si l’angoisse / traverse mon anxiété de voyageur. // La sauvage éternité m’attire / et me donne la main en cette / parenthèse de vie. » (Lettre à moi-même) . « L’infini, dans l’Île, roule ses grappes dans l’émerveillement. » ( Lanzarote) ; On saisit bien pourquoi Arrabal et Houellebecq sont en phase. Et encore, dans « Lanzarote » : « Agrippé au bord du néant, à Lanzarote, / j’attends, infatigable, gorgé de ciel / et protégé par la tendre exactitude. » Splendide ! Et cela pourrait être écrit aussi par Houellebecq ! Venez lire ce poème sublime ! Au milieu du monde, à Lanzarote !
Et un très beau poème de Houellebecq ! Qui semble avoir foi en une autre sorte de femme ( « En ta présence, femme, je suis comme devant un autre monde »), qui ne serait pas de celles décrites par Philippe Muray, ( « ...la femme n’est pas encore sortie du gynécée malgré ce que répètent tant de crétins illustres. Ce qui arrive c’est qu’on nous a tous enfermés dans une sombre, bruyante et longue maternité. » qui empêchent de sortir du ventre et de naître par ce tohu bohu précieux ! « J’ai toujours eu confiance, / Je n’ai jamais renoncé / Bien avant ta présence, / Tu m’étais annoncée. » Mais une femme avec des épisodes maniaques, alors violente comme une éruption volcanique ou comme un cataclysme, que suivent peut-être des épisodes dépressifs, hurlerait-elle l’impossibilité dans nos contrées d’une nouvelle manière d’être femme, à l’heure où, comme le souligne si bien Philippe Muray, la logique dominante est maternelle. Alors, il faut aller chercher des soins palliatifs dans d’autres contrées, faire du tourisme sexuel, les femmes affairées, maternantes, ou consommatrices de sexe devenant si indifférentes à offrir de l’amour aux hommes. Houellebecq écrit alors : « Il n’y a pas d’amour / (Pas vraiment, pas assez ) / Nous vivons sans secours, / Nous mourons délaissés. » « Disparues les promesses / D’un corps adolescent, / Nous entrons en vieillesse / Où rien ne nous attend. » « Et l’amour, où tout est facile , / Où tout est donné dans l’instant / Il existe au milieu du temps / La possibilité d’une île. ». Cet amour qu’est capable d’offrir une femme qui ne serait plus retenue dans le gynécée, qui ne serait plus éternellement occupée à se faire ventre matriciel en train de remballer en elle les enfants, qui ne s’identifierait plus d’une manière follement narcissique et délirante à une mère éternellement en train de remballer retenir étouffer en elle ses enfants et métastasée dans une société technicienne et marchande dont le mot d’ordre est de prendre soin de mille manières des humains comme si c’était des fœtus retenus dans le « tout baigne » fœtal et tout autour ça s’occupe d’eux et surtout ça fait fabuleusement marcher le commerce. Une femme dont le placenta ne se serait pas immortalisé en elle, qui n’aurait plus ce délire d’être propriétaire d’un placenta remballeur et d’être bien payée en retour pour ça, serait retrouvée sur terre, par le né, dans une disponibilité merveilleuse, dans une épiphanie. La Vierge Marie apparut un beau jour à Arrabal.
Arrabal écrit, à propos de Houellebecq : « Seul , l’espoir lui permet de survivre, mais en marchant sur la corde raide. » A propos de ces fonds de commerce d’aujourd’hui, Houellebecq dit : « ...il y a une limite qu’il ne faut pas franchir : attaquer un groupe financier international à travers l’un de ses produits. »
Houellebecq, si attaqué, ne cultive cependant pas d’esprit de vengeance. Arrabal saisit pourquoi au quart de tour : « Il est infantile d’avoir des pensées de vengeance aujourd’hui ! Demain surgira toujours derrière le mur de la réversibilité. » Extraordinaire réflexion ! L’espoir qui naît du désespoir, c’est-à-dire de cette violence du déracinement, qui peut aussi se présenter comme des attaques viles mais réitérant le chamboulement de la naissance, espère toujours que demain présentera un « milieu du monde » où des paysages impressionnants seront découverts dans une géographie cataclysmique, avec des amis surdoués pour savoir reconnaître les nés. La notion de réversibilité est donc extraordinaire. Le temps n’en reste pas éternellement au chamboulement de la mise dehors comme si tout se résumait à un éternel accouchement et aux transes de l’accouchée...
Houellebecq dit : « Notre contemporain, obsédé par le travail, évite l’amour. Par égoïsme il ne peut accepter le mariage mais il ignore l’art d’aimer. Il a créé un système dans lequel il est impossible de vivre. »
Arrabal dit : « ...vous croyez que l’altruisme est la vertu humaine capable de combattre l’effroi des hommes. C’est pourquoi vos personnages abdiquent devant la tendresse...et, quand ils ne la trouvent pas, ils recourent au « tourisme sexuel ». » Société où nous sommes aussi malheureux qu’amoureusement frustrés.
Arrabal : « Aujourd’hui, la falsification veut passer pour de l’authenticité dans le meilleur des mondes virtuels. » Et aucun critique ne s’est arrêté sur ce saut dans le temps dans l’œuvre de Houellebecq, sur le fait que cela se déroule dans le futur. Je serai ce que je serai...Au gré des épiphanies, des contextes nouveaux, des autres, des immaculées...
Houellebecq : « Ce serait plus efficace de bombarder avec des minijupes plutôt qu’avec des missiles. Le maillon faible est la chatte. C’est la ressource stratégique. ». Ne suffirait-il pas, en effet, que les femmes ne se croient plus mères à jamais, mais, s’inclinant devant la perte de l’abri matriciel après l’accouchement, et perdant du coup leur toute puissance, naissent elles-aussi dans un grand chamboulement et aillent au devant des garçons d’une manière autre ? Cela foutrait en l’air tant de choses ! N’y aurait-il pas là les « conditions d’une ontologie possible » ?
Et tant de géniales « arrabalesques » dans ce livre qu’il faut absolument aller lire, pour en savoir plus sur deux génies mutants, Fernando Arrabal, et Michel Houellebecq, et quelques autres.
Alice Granger Guitard
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Messages
1. Houellebecq, 30 octobre 2005, 02:21, par Philippe Nadouce
Chère Madame,
J’ai bien du mal à partager votre enthousiasme pour M. Houellebecq.
Je ne vis pas en France et j’échappe à ces frénésies gauloises qui s’enflent parfois jusqu’à l’Universel. Plus qu’ailleurs, les grenouilles philosophiques et pataphysiques y sont mutantes et post-modernes. Je soulève parfois le couvercle du bocal pour voir de plus près les nouveaux prodiges d’un marketing à la française ; si subtil qu’on finit par l’associer au génie d’une exception culturelle. Il faut avoir lu l’interview de Houellebecq parue dans le Point du 22 août 2005, juste avant la publication de son dernier roman, interview menée pataphysiquement par M. Arrabal, pour découvrir toute l’étendue de la subtilité dont nous sommes en fait les victimes... Victimes aussi de l’ambiguité réactionnaire des deux personnages que les journalistes et les écrivains ne fouillent pas toujours avec rigueur. J’ai, par exemple, relevé dans votre texte une ambiguité assez troublante. Vous écrivez : « Houellebecq dit : « Notre contemporain, obsédé par le travail, évite l’amour. Par égoïsme il ne peut accepter le mariage mais il ignore l’art d’aimer. Il a créé un système dans lequel il est impossible de vivre. ».
Michel Houellebecq n’a jamais dit cela ; cette tirade appartient à son personnage, Michel, dans Plateformes. Pourquoi confondre Houellebecq avec son personnage, un anti héros, réactionnaire et misogyne ? Vous le savez, tout le problème Houellebecq est là ; aux antipodes de son style, par exemple, qui ne lui survivra pas. La raison pour laquelle je me suis toujours méfié de Houellebecq est la proximité des deux personnages Michel et Michel... Si j’avais été sûr qu’ils n’étaient qu’un, j’eusse sans l’ombre d’un doute attaqué et dénoncé cette monstrueuse mystification lepéniste. Mais, j’ai toujours douté de l’énormité des apparences. Et je m’y tiens encore. J’emploie : monstrueuse mystification car, Plateformes, par exemple, (vous l’avez dit vous-même sur ce même site ; d’autre part, j’ai travaillé sur une adaptation théâtrale du livre pour le I.C.A. de Londres) est très mal écrit et encore plus mal construit dramatiquement. Il rivalise en maladresses avec un best-seller de gare.
Et si l’écrivain Houellebecq avait voulu au contraire écrire un livre avec le style d’un Michel, son personnage ; reproduisant à la perfection, page après page, le fil rouge d’une pensée vulgaire et contemporaine, vivant un sexe de film porno truffé de femmes dociles, multiorgasmiques, éjaculantes !, déroulant les élucubrations d’une culture Canal + chiche et confuse, défendant la réalité politique d’un vingt heures de TF1, et pour finir, reprenant un à un tous les lieux communs d’une société surmédiatisée et déprimée, voilà qui serait très fort ! Un véritable exercice de style ! Et quel risque ! Je tirerais mon chapeau ! Un inconditionnel ! Mais là encore, j’ai un doute.
Alors, devrais-je couper la poire en deux ? Un peu de ceci un peu de cela... Peut-on encore se permettre un tel luxe lorsque l’on a échappé au marketing pataphysico-médiatico post-moderne français qui, au cinquième ou au sixième degré voudrait retrouver la distance supérieure d’un nihilisme de salon ?
Le plus intéressant du personnage Houellebecq est sa façon d’utiliser le « système », de se vendre au plus offrant, se sacrifiant avec l’indifférence d’un Jésus au parti du pouvoir et de l’argent, avec cet air qui nous dit : « Vous voyez ? ». Avec son collègue Arrabal que je vois plutôt comme un père prodigue, ils font les clowns mais, encore une fois un doute, je ne sais pour quelle galerie. Bref. Au delà de la polémique qui ne m’intéresse pas, j’aimerais connaître votre opinion sur cette confusion que j’ai cru déceler.Elle me permettra de me positionner par rapport à vos écrits. Merci.
1. Houellebecq, 1er novembre 2005, 09:09
Cher Monsieur,
Ainsi, de mon article (et de celui sur le livre de Houellebecq "La possibilité d’une île" ?) sur le livre d’Arrabal, il semblerait que vous n’ayiez retenu qu’une "ambiguité" comme vous dites, attribuant à Houellebecq un propos prononcé par son personnage dans "Plateformes" ! Alors, allez lire à la page 64 du livre "Houellebecq" qui est entre autres une suite d’entretiens entre Arrabal et Houellebecq. A la page 64, au cours d’un de ces entretiens, Houellebecq dit à Arrabal : " Notre contemporain, obsédé par le travail, évite l’amour. Par égoïsme, il ne peut accepter le mariage mais il ignore l’art d’aimer. Il a créé un système dans lequel il est impossible de vivre." Qu’il ait pu aussi prêter ce propos à son personnage est-il anormal ? Houellebecq n’écrit-il pas justement cette impossibilité de vivre qu’il sent vivement, et son succès ne viendrait-il pas de ce que sont nombreux les lecteurs, qui achètent son livre, qui se reconnaissent aussi dans cette impossibilité de vivre dans un monde où, au désir (d’amour, d’amitié, par exemple) ne répondent que des palliatifs ou des solutions euthanasiantes ?
D’autre part, si notre site a effectivement publié deux articles sur "Plateformes", ces articles ne sont cependant pas de moi !
Je m’intéresse à la singularité de chacun, et cette singularité, pour moi, ne se manifeste dans toutes ses contradictions, ses ambiguités, ses désespoirs, ses impasses, ses espoirs et ses bouteilles à la mer jamais mieux que par l’écriture. Alors, dans chaque livre que je lis, j’essaie de distinguer le "quelqu’un", différent de moi, qui s’avance à travers ce livre dans ma direction. Houellebecq, je le sens si différent de moi, même si cette fragilité et cette absence de solution me disent intensément quelque chose. Je trouve extraordinaire sa manière d’écrire l’impasse terrible, et sa quête d’amour, presque impossible. Arrabal : un autre "quelqu’un", que j’ai tenté d’approcher à travers quatre lectures, et si ça vous intéresse allez lire mes quatre Notes de lecture.
Si vous voulez vous positionner par rapport à mes écrits...
Vous remarquerez peut-être que ce que j’écris témoigne d’une analyse très éloignée du tapage médiatique dont vous parlez. Bien sûr, se posera la question de savoir d’où j’écris en lisant...
Bien amicalement,
Alice Granger
2. Houellebecq, 1er novembre 2005, 17:38, par Simone
C’est vrai c’est bien cette curiosité que suscite la lecture de vos notes Alice : D’où écrivez-vous en lisant ? . Ce point de création , car s’en est un , qui double la critique , vous me donnez depuis longtemps envie de le lire autrement qu’à travers les lignes de vos notes de lectures . Insatiable lectrice !
3. Houellebecq, 3 novembre 2005, 21:59, par P.N.
Chère Madame,
Cet arbre d’ambiguité autour duquel nous tournons vous et moi ne cache-t-il pas une forêt de symboles et de luttes dont la signification nous échappe en partie ? Nos appréciations sur Houellebecq sont irréconciliables. Elles sont politiques. J’en apprécie toutefois les subtilités et les richesses.
Mais en ce qui concerne l’écrivain Houellebecq, le débat esthétique ou philosophique me semble inexitant. Ou alors il faut le resituer sur un plan médiatique où la mécanique abjecte et mercantile (« les gens l’achètent », la clique des Sollers, Nourrissier et j’en passe, en ont fait leur « nouveau Céline » (ils ont raté lamentablement le premier, pensez, ils se rattrapent... Des fois qu’ils perdraient le deuxième... N’ont-ils donc jamais lu les frères Karamasov ? Ne se souviennent-ils pas du chapitre du Grand Inquisiteur ? Dans ce sens-là, Houellebecq serait l’anti Céline), un plan mercantile, dis-je, qui interdit alors tout vrai débat. C’est bien connu, les bonnes ventes sont une preuve de qualité... « L’auteur le plus traduit à l’étranger ! ». Il n’aurait plus manqué qu’on lui donnât le Goncourt. Ces messieurs, pourrait-on croire, trouvèrent en eux un reste de décence. Pas du tout ! Il s’agit plutôt d’instinct de survie. Imaginez ! Le lecteur de base eût fini par croire qu’ils n’étaient pas du tout indépendants ! C’est curieux ; rien ne semblait l’indiquer.
Quant à sa poétique, n’en parlons pas ! Houellebecq n’est pas un poète ; c’est un pleurnicheur qui touche le coeur de la classe sociale pleurnicheuse par excellence : la petite bourgeoisie ; la plus envieuse ; la plus sollicitée par le capitalisme car elle projette inlassablement ses insatisfactions matérialistes et réactionnaires. Celle-là même qu’il fustige. Comme elle est vicieuse ! Le progrès c’est aussi cela ; le désespoir sur quelques belles plages Club Med.
Et je reste indifférent à votre extase quand vous citez les vers suivants (lui, regardant le ciel sur son île. Savez-vous ce qu’elle représente cette île en Espagne ?) : « Il n’y a pas d’amour / (Pas vraiment, pas assez ) / Nous vivons sans secours, / Nous mourons délaissés. ». S’ils n’étaient pas signés Houellebecq, « l’auteur le plus traduit à l’étranger », le gagnant officieux du prix Goncourt 2005 (Sollers trouvera bien ici quelques traces de complot. On lui a volé ! Pauvre victime du tapage médiatique dont il a été l’objet), ces vers dis-je, seraient lamentables.
Vous parlez d’une « Impossibilité de vivre » qu’il exprimerait admirablement. Voulez-vous dire par là, qu’il est le nouveau penseur du mythe de Sysiphe ? Que la France Houellebecquienne aurait pris conscience de son propre enfermement ? Toutes ces grandes vérités qu’il nous jette à la figure seraient d’un type messianique ?
Je pense plutôt que Houellebecq est un homme qui s’ennuie, qu’il s’est ennuyé toute sa vie devant la télé. Il a couché sur le papier les pensées superficielles d’une classe sociale qui s’ennuie depuis les années 70. D’où l’incroyable sensation de réchauffé. La classe sociale qui a inventé « la nuit des publivores » et qui parce que ça ne vient pas après tous l’mal qu’on s’est donné doit trouver une profondeur dans son désarroi d’enfant gâté ; mettez un peu de cul par là-dessus, et c’est bon à tirer. (oui, je sais, moi aussi j’ai parfois des envolées Houellebecquienne. Je suis sûr que François Nourrissier aurait pu dire, « il y a en nous tous un peu de Michel Houellebecq »).
N’allez pas croire que j’ai quelque chose contre vous. Pas le moins du monde. Votre édifiante prolixité a quelque chose d’admirable. Je suis comme votre fan Simone ; très impressionné (au fait, Marie-José, qui corrige mes fautes sur le site pourrait lui donner un coup de main). Au bonheur de vous lire.
4. Houellebecq, 4 novembre 2005, 09:59
Cet arbre d’ambiguïté autour duquel vous tournez mais tout seul et dont "la signification en partie vous échappe", a pour corollaire cet évident mépris contre tous ceux qui ne fonctionnent pas autour de l’ axe du mépris intellectuel mais autrement , par exemple (mais n’est-ce pas cela que vous entendez par "politique") ceux qui "s’interessent à la singularité de chacun ". De toute évidence ce qui se clame dans votre message c’est une revendication narcissique et du ressentiment . Houellebecq en tout cas n’aura pas raté son coup s’il en fait réagir d’autres de cette manière un peu passionnée .
C’est déjà ça .
Je passe sur ce " fanatisme " dont vous me taxez car il n’y a dans la teneur des notes d’Alice Granger rien qui puisse fanatiser , au contraire . Et c’est de ce contraire , de cette intelligence qui insiste sur le contraire qu’il y a à prendre cette graine précieuse dont je suis affamée .
Pour l’orthographe vous avez raison .
5. Houellebecq, 10 janvier 2006, 16:54, par Yvette Reynaud-Kherlakian
Il y a donc eu sur Exigence littérature une querelle Houellebecq (laquelle s’est aigrie de réponse en réponse, ce que je regrette fort) ? Les giclées de venin de l’amour-propre blessé finissent par empoisonner l’argumentation -et c’est bien dommage.
Je n’ai lu de Houellebecq que Les particules élémentaires, lecture qui m’avait été conseillée par un ami et que j’avais poursuivie consciencieusement malgré un ennui croissant de page en page. Je m’étais dit que c’était là un écrivain banalement honnête dans la forme -construction et style-, excessif et hynotiquement répétitif dans l’utilisation de ses thèmes -sexe et utopie péri ou para-scientifique. Ma curiosité pouvait donc s’adresser ailleurs : il y avait par exemple le Hongrois Imre Kertész (ô Kaddish pour l’enfant qui ne naîtra pas !) le Turc Orhan Pamuk...
...Ce qui ne m’a pas empêchée de lire avec intérêt et l’article d’Alice Granger et la première réaction de son contradicteur. Pour un peu, je me serais fait un devoir de me plonger dans Arrabal-Houellebecq. C’est la pile en attente sur bureau et table de nuit qui m’en a empêchée. Il y avait en particulier Le chiffre de la vie où un certain Grégory Bénichou -docteur en philosophie aussi bien qu’en pharmacie, scrute l’ADN de toute son intelligence et de toute sa culture pour trouver, au coeur même du fonctionement génétique l’inscription d’une spiritualité créatrice. Ce livre, c’est un homme près de la mort qui me l’avait prêté pour que nous puissions en parler ensemble (il agonise à l’heure qu’il est). Ce livre m’a souvent irritée mais il m’a amenée à prendre plus clairement conscience de ma façon de voir les rapports science-religion et m’a obligée à préciser et à affiner mes arguments. Vive donc Grégory Bénichou.
Tout ceci pour vous dire quoi ? mes amis en amour de la pensée et de ses langages. Que ni vous, ni moi ne sommes habilités à délivrer des passeports pour l’éternité à qui que ce soit. Il n’y a de limites à notre droit à déguster et à repousser que celles -facilement brouillées- de l’honnêteté intellectuelle... et d’une saine gourmandise ! Croyez-en mon expérience d’ex-pédagogue et mes appétits d’octogénaire...
Yvette Reynaud-Kherlakian
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6. Houellebecq, 29 août 2008, 15:49, par Coline Dé
(L’octogénariat, non, mais son appétit force ma considération !)
Je suis toujours surprise que la société puisse avoir ces réactions d’étonnement et de rejet envers ses excrétions
(je n’ai pas dit excréments)
Quelle somme d’énergie incroyable est gâchée à tenter d’oublier la dialectique !
Michel Houellebecq signe une époque, plus encore qu’il ne signe des livres. La polémique à son endroit procède, à mon sens, d’un malentendu, certains condamnant l’époque en attaquant ses livres.
Je n’ai qu’une opinion le concernant : il écrit en faisant coïncider le fond et la forme.
C’est une grande qualité, dont ne peuvent, hélas, se prévaloir tous les faiseurs qui polluent les rayons de librairies.