de Photini Xanthopoulou - traduction Anne-Laure Brisac - Editions : L’éclose, 2005
lundi 20 juin 2005 par penvinsPour imprimer
Vu comme ça, ce roman c’est l’histoire d’une petite fille maltraitée par sa mère, mais lisez-le de plus près et vous y découvrirez tout un pan de l’histoire de la Grèce moderne.
C’est en Grèce du Nord en janvier 1951 après la fin de la guerre que Périclis et Anggéliki se marient. Leur histoire est déjà lourde de misère sociale et personnelle. La mort, celle de la mère de Périclis puis de sa mère adoptive, l’occupation allemande et l’arrivée des Bulgares conquérants brutaux qui mettaient la main sur tout ce qui leur faisait envie puis la Guerre civile à laquelle il prend part dans la gendarmerie sans trop comprendre ce qui lui arrive et durant laquelle il perd un œil, ont été le quotidien du jeune marié. La jeune mariée quant à elle a dû subir les fessées et les insultes humiliantes de sa mère. Dans ce contexte de guerre et de pauvreté il y a quelque chose qui pourrait passer inaperçu et qui pourtant est énoncé dès les premières lignes du roman : Nous quittons pour toujours notre jolie maison [...] sur la place du [...] village de ma mère pour nous installer dans celui de mon père. C’est bien sûr le bonheur de l’enfance qui disparaît et qui disparaît très tôt pour Anggéliki (elle a huit ans) mais c’est surtout la féminité qui est niée - mais moi ils ne m’avaient jamais pardonné d’être une fille - et qui le sera tout au long de ce roman à travers le personnage principal, la fille de Périclis et Anggéliki : Phani.
Un des intérêts de ce roman c’est que c’est un roman à 4 voix, le père Périclis, la mère Anggéliki, le fils Alekos(Alexandros) et la fille Phani. Non seulement on n’est supposé entendre nulle part la voix de l’auteur, mais ces différences de point de vue font que ce qui est dit par l’un peut-être contredit par l’autre et notamment que ce que dit Phani de son père ou de sa mère nous l’entendons également de la bouche du père et de la mère. Terrible ! Parce qu’aucune place n’est laissée au doute sur la maltraitance dont souffre Phani.
Phani est une petite fille, son premier frère était mort à la naissance, son troisième frère Phanis (du nom du père d’Anggéliki) est mort le jour de son premier anniversaire, elle a été conçue pour le remplacer. Ce roman est aussi le roman de cette non-acceptation de la mort, et Phani la petite martyre intelligente et brillante qui acceptera de disparaître est peut-être justement celle qui permet le passage hors du monde des femmes. Celle qui accepte la perte du monde matriarcal.
En effet la simple explication de la maltraitance que subit Phani par la place qu’elle occupe en remplacement du frère mort ne suffit pas, d’une certaine façon elle ne me convainc pas, comme s’il s’agissait d’un artifice que l’auteur ne parvient pas à rendre tout à fait crédible. D’une certaine façon tout est joué d’avance, on a beau garder un peu l’espoir que les relations entre la petite fille et ses parents vont évoluer, on se rend rapidement compte que de ce côté-là il n’y a rien à attendre. Mais derrière les personnages malgré tout il y a toujours le discours de l’auteur et cette insistance, cette constance dans la volonté d’humilier sa fille, même si elle trouve son explication dans la remarque d’Anggéliki juste avant la fin du roman : Ce qui depuis tant d’années m’avait éloignée d’elle était la peur de souffrir si je la perdais elle aussi. - explication peut-être plus juste que l’explication par le sexe de l’enfant, après tout Anggéliki avait déjà un garçon, explication qui se justifie également par la culpabilisation - renforcée par la condamnation à trois mois de prison avec sursis pour avoir causé la mort de son enfant par négligence ! - on ne peut s’empêcher de penser que pour l’auteur tout est déjà écrit. Ce qui est bien le cas, le roman suit un schéma qui mène nécessairement à sa conclusion - comme s’il s’agissait d’une tragédie ? - il y a une nécessité extérieure à la nécessité psychologique et le roman est l’illustration de cette nécessité. Pour tout dire ce n’est pas un roman psychologique en dépit du sujet qui pourtant s’y prête tout particulièrement. On imagine ce que ce roman aurait pu donner traité par un auteur français et c’est peut-être ce qui justement nous en rend difficile et intéressante la lecture.
L’ histoire récente de la Grèce qui bien sûr n’a pas besoin d’être expliquée à un lecteur grec forme l’arrière plan de ce roman. Voilà donc un autre intérêt que l’on aura à lire ce livre, qui est d’obliger le lecteur à se pencher sur l’histoire d’une nation européenne qui a autre chose à dire que son passé archéologique et ses plages ensoleillées. La Grèce d’aujourd’hui a une histoire et cette histoire est faite notamment du passage d’une économie rurale à une économie dite moderne qui a contraint de nombreux grecs à une émigration intérieure : Victimes elles aussi d’un délire collectif d’exode rural, elles étaient toutes de petites femmes, grosses, le teint noirâtre, certaines avec les cheveux teints en blonds, rien d’étonnant qu’elles se retrouvent là. L’émigration intérieure avait laissé sur elles des plaies visibles, le déracinement n’avait rien de facile en dépit des sirènes de la grande ville. dit Anggéliki de ses voisines de chambres à l’hôpital de Thessalonique. Elle et Périclis savaient bien ce que leur avait coûté cet exode, la difficulté de travailler en ville, la nécessité d’aller chercher du travail en Allemagne, la longue mise entre parenthèse de leur vie de couple, s’ajoutant aux difficultés matérielles. Tout ceci avait sans doute contribué à prolonger l’aversion d’Anggéliki pour ses enfants et plus encore pour Phani.
Tout ceci avait commencé le jour où elle avait quitté pour toujours [sa] jolie maison de deux étages sur la place du village - le village de[sa]mère où [elle avait] vécu quelques années de [son] enfance - pour [s’] installer dans celui de[son] père, là où [elle et ses sœurs étaient] nées toutes les trois. Une autre Grèce allait naître dans la douleur. Une Grèce que je vous invite à découvrir avec ce roman poignant de Photini Xanthopoulou.
Ce livre est disponible aux éditions :
L’éclose
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