mercredi 20 août 2008 par Berthoux André-Michel
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Depuis son inauguration, en juillet 2000, le Grimaldi Forum - du nom de la dynastie princière - est devenu le véritable centre culturel et évènementiel polyvalent de la principauté de Monaco. Son architecture ambitieuse et la technologie employée nous font pénétrer résolument dans le 3ème millénaire. La salle des Princes, située au-dessous du niveau de la mer, constitue le cadre le plus prestigieux du site. Elle accueille notamment l’orchestre philharmonique dont la renommée a pris une dimension nouvelle depuis l’arrivée de son chef Marek Janowski. Par ailleurs, de nombreux festivals se déroulent dans l’enceinte de cet édifice : le festival de TV, Imagina, lieu de rencontre des créateurs d’images de synthèse, le Monaco Dance Forum, le festival international de la danse créé par le directeur et chorégraphe des Ballets de Monte-Carlo, Jean-Christophe Maillot.
Face à cet enjeu, les responsables du Grimaldi Forum s’efforcent chaque été de réaliser un évènement de grande envergure. Au cours de l’été 2003, l’exposition intitulée SuperWarhol et consacrée au plus célèbre représentant du pop art, a donné une dimension supplémentaire à cette initiative digne des grandes expositions internationales.
Le titre imaginé par le commissaire de l’exposition Germano Celant (directeur artistique de la Fondation Prada à Milan et conservateur au département d’Art contemporain du Solomon R. Guggenheim Museum de New York) reflète bien l’impression retirée en parcourant les immenses salles de l’espace Ravel, lieu spécialement conçu pour les expositions. SuperWarhol offre un regard sans précédent sur la production monumentale de l’artiste réalisée entre le début des années 1960 et 1986 - certains tableaux dépassent douze mètres de long - ainsi que sur les grandes installations, comme les pièces recouvertes de “wallpapers” (papiers peints) ou les œuvres qui s’articulent autour de plusieurs lieux ( Shadow Paintings , 1978). En outre, l’expérimentation de l’agrandissement des formes permet à Warhol d’aborder à sa façon l’abstraction, comme dans les séries telles que :
les Oxydation Painting (1978), toiles recouvertes de pigments métalliques de cuivre sur lesquelles Warhol demandait d’uriner aux gens qui visitaient son studio,
les tâches du test de Rorschach (1984), grâce auxquelles il souligne le rôle des phénomènes stochastiques dans l’oeuvre d’art, tentative que l’on retrouve dans la démarche musicale d’un John Cage par exemple,
ou bien les Camouflage (1986), peintures réalisées à partir d’un échantillon de camouflage militaire agrandi en photo, puis recopié et réalisé en différentes tonalités de couleur, même fluorescentes.
Le projet des organisateurs de l’exposition était aussi de montrer l’univers dans lequel évoluait l’artiste. Des photos prises dans la fameuse Factory, lieu de travail du créateur mais également de rencontre des célébrités, et des membres de l’avant-garde new-yorkaise laisse imaginer au spectateur toute l’effervescence qui y régnait. Les musiciens du Velvet Underground John Cale et Lou Reed ainsi que leur égérie Nico, ou encore le poète Gerard Malanga s’y côtoyaient. Warhol s’essaya également au cinéma en réalisant des films expérimentaux (généralement ses films sont constitués d’un unique plan fixe parfois de plusieurs heures d’un individu, un dormeur par exemple comme dans Sleep ) ou des films plus ambitieux en collaborant notamment avec Paul Morrisey.
Mais bien sûr, l’oeuvre d’Andy Warhol est étroitement liée à l’Amérique de son époque. Les objets symbolisant la société de consommation ainsi que les figures emblématiques de notre modernité constituent les véritables sources de son inspiration : boîtes de soupe Campbell, caisses de Brillo, bouteille de Coca-Cola, mais aussi portraits de Marylin Monroe, de Lyz Taylor, de Mao, d’Elvis, de Jackie Kennedy, ou encore chaises électriques, symbole du dollar, crâne, revolver, hamburger, faucille et marteau, ...
L’iconographie dans laquelle il puise toute son imagination compose la bibliothèque d’images inscrites dans notre mémoire collective. L’artiste n’a-t-il pas voulu, à distance, nous faire réagir comme ce petit garçon qui à la vue d’un tableau de l’exposition s’exclame : « Papa, regarde, c’est Superman ! ». Le véritable art populaire à l’ère de la reproduction serait un art dépourvu totalement de son aura, mais reconnaissable au moindre coup d’oeil par un enfant bercé dès son plus jeune âge par cet univers d’images qui caractérise notre civilisation et notre culture mondialisées. La technique utilisée par Warhol, la sérigraphie, lui permet de réaliser des déclinaisons colorées d’une même image ( Flowers ). Travail toujours soigné ce qui explique peut-être sa collaboration avec son protégé Jean-Michel Basquiat afin d’expérimenter une attitude artistique plus désordonnée, plus primitive, proche du graffiti et donc d’essence plus urbaine ( Fuck you, Dentures , 1984-1985). Le pop art de Warhol est populaire par son iconographie mais non par son geste. Sa démarche reflète néanmoins ce que Walter Benjamin prophétisait dans son texte intitulait “L’oeuvre d’art à l’ère de sa reproductibilité technique” (1ère version, 1935) :
« (le déclin de l’aura) tient à deux circonstances, étroitement liées l’une et l’autre à l’expansion et à l’intensité croissantes des mouvements de masses. Car rendre les choses “plus proches” de soi, c’est chez les masses d’aujourd’hui un désir tout aussi passionné que leur tendance à déposséder tout phénomène de son unicité au moyen de sa reproductibilité. De jour en jour le besoin s’impose de façon plus impérieuse de posséder l’objet d’aussi près que possible, dans l’image ou, plutôt, dans son reflet, dans sa production. Et il est incontestable que, telles que la fournissent le journal illustré et les actualités filmées, la reproduction se distingue de l’image. En celle-ci unicité et durée sont aussi étroitement liées que le sont en celle-là fugacité et possible répétition ».
Bien que Benjamin fasse référence à la photo, il n’aurait pu mieux analyser le travail de Warhol. La perception nouvelle qu’il entrevoyait issue de la reproduction, il la définissait comme celle parvenant à « standardiser l’unique ».
Ces images standardisées finissent par se dissocier entièrement de toute signification. Le portrait du dictateur chinois ne ressemble pas au Big Brother menaçant d’Orwell, son léger rictus le rend même sympathique. Il s’agit d’une simple image devenue banale mais identifiable au premier regard, et qui ne donne pas la possibilité au spectateur d’imaginer que derrière cette reproduction rassurante et apaisante se cache une volonté exterminatrice. De même que les effigies d’actrices mondialement connues ne nous renvoient pas au cinéma, cette chaise vide, terrifiant celui qui s’avance vers elle pour s’y asseoir une unique fois, ne nous saisit que comme une impression première détachée du tout lien causal avec la mort violente qu’elle engendre irrémédiablement. Warhol a réussi ce véritable tour de force au fil de sa création de nous révéler toute la puissance manipulatrice de l’image reproduite qui finit par nous éloigner de tout référent, de tout contexte, de toute réalité, pour susciter en nous une autre perception plus immédiate, plus enfantine dont on peut imaginer les dégâts si elle était utilisée à des fins non artistiques. Le pop art et son plus célèbre ambassadeur ne seraient pas alors si superficiels qu’on a bien voulu le dire ?
Août 2003
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