Son
nom sonne, de rocher en rocher…
A propos de « Les oiseaux conquis »,
et « Dédales d’aubes », de Sadou
Czapka parus aux éditions Atelier de l’agneau.
C’était une revue confidentielle et qui s’est éreintée sur les murs de l’ego. Cette revue ouvrait nos boites aux lettres à de nombreux livres que nous dévorions avec avidité avant d’en écrire quelques mots. La consigne était de lire vraiment, non de parcourir en se fiant à la quatrième de couverture.
Alors nous lisions, et parfois, nos yeux nous livraient quelques bonnes fortunes. Et, quand celles-ci nous étaient voisines, de plume et de géographie, la rencontre devenait inévitable…
Il en fut ainsi des oiseaux conquis, une étoile filante dans le ciel de l’époque. Une découverte dont la fluidité me ravit.
Voyez-donc. A la relecture, je ne retirerai rien de ces mots :
« Son nom sonne, de rocher en rocher.
Vient-il de plus loin que les hautes plaines qui, à l’est, bordent les plateaux ?
Son nom résonne de paroi en paroi dans les gorges étroites qui conduisent, irrémédiablement aux lacs étincelants, au couchant crépusculaire de l’humanité.
Si vous ne l’aviez jamais entendu, retenez-le.
Son nom est fait de la plume miraculeuse, incapable de noircir une page inutilement. Il est brodé, du poème, d’une jeunesse nourrie à la résurgence de ce qui reste d’humanité.
Etrange voyage qui les a fait revenir ici, transhumance obscure des poèmes, itinérance somptueuse sur les ailes de l’espoir fou : écrire, être lue.
Retenez donc ce nom et retenez aussi ses mots, tissés méticuleusement une enfance durant.
Sadou nous dit ceci :
Le hasard fait donc bien les choses : nous aussi. »
L’ouvrage était sorti en 2000. Il me fallut quatre années pour qu’il vienne au sommet de la pile d’abondance littéraire.
Ce fut le moment d’un deuxième ouvrage, « Dédale d’aubes ». Entré dans ma boite aux lettres, il a subi le même sort que tous : celui d’un empilement de livres toujours au bord du vertige et de l’effondrement. Chaque soir, le livre arrivé sur le dessus est celui qui rencontre mon regard. Parfois, comme ici, je regrette de n’avoir pas eu le temps d’y venir plus tôt, d’avoir négligé mon devoir de « découvreur ». Mais, cette foi, c’est un peu d’amertume tant le cri lancé était rauque, profond. Je m’en voudrais presque de n’avoir pas entendu…
Nous nous retrouvions, le samedi matin, au café de la poste, pour offrir notre rêve poétique à des passants qui ne faisaient que passer, sans jamais s’arrêter. Mais nous avions cette fougue qui nous auraient fait soulever les montagnes de conformismes de cette ville, de ce département de province qui a tant de mal à quitter les poncifs du XIXème siècle…
Nous nous sommes perdus de vue. Je viens de retrouver les mots acides d’un « critique littéraire ». Mots glacés qui achèvent un auteur aussi surement qu’une balle de révolver…
Tu sembles, Sadou, ne pas avoir résisté à ce flot de haine qui anime les mondains. Je te lis enfin. Je vois ces mots d’une jeunesse qui se brise, comme ce monde sait si bien le faire…
Un monde qui casse sa jeunesse sans lui trouver la moindre circonstance atténuante est un monde perdu, Sadou, tu le sais bien. Nous en avons tant parlé, à l’époque…
Mais peut-être as-tu, toi aussi, choisi le retrait pour affuter ton vocabulaire. Un jour, ta plume respirera de nouveau au grand air, c’est sûr…
Je lis, je découvre cette errance où l’amour nous plonge sans répit. Tu nages en liberté dans les vasques d’eau claire. Les diamants liquides errent comme larmes sur ta peau. Le soleil ne suffit plus à éclairer le sombre départ de l’enfant attendu. J’entends encore ton cri qui résonne en quelques pâturages de Chine. Le vent dans les herbes folles perpétue sa mémoire…
« C’est plus tard qu’elle s’aperçut du poids énorme qui s’était consumé, le poids d’une vie, celui d’un manuscrit. »
Le point final était un point de silence. Nos pas ont pris des sentiers sinueux pour être qui nous sommes. Il nous restera à guetter le signe, lorsque de nouvelles pages viendront éclore, au soleil de midi…
Manosque, mai 2004, juillet 2009 Xavier Lainé