Thomas More est né à Londres en 1478; il fit, comme son père qui était avocat, des études juridiques qui lui permirent de devenir un brillant juriste et un diplomate de talent.
Ami et conseiller du roi dAngleterre Henri VIII, il devint grand chancelier; le roi voulait réformer lEglise de son pays et divorcer davec Catherine dAragon pour épouser Anne Boleyn. Il comptait sur lhabileté et lautorité morale de son conseiller pour arriver à ce double objectif.
Mais Thomas More ne voulut pas aller contre sa conscience et démissionna de sa charge en 1532. Lorsqu Henri VIII rompit avec Rome, More refusa de prêter serment; il fut condamné à mort et, après quinze mois demprisonnement à Tower Hill, il fut décapité le 6 juillet 1535.
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Lattitude inflexible de Thomas More et son martyre lui valurent dêtre présenté comme le " Socrate chrétien "; Rome reconnut ses mérites en le béatifiant en 1886, puis en le canonisant en 1935 à loccasion du quatrième centenaire de sa mort; en lan 2000, Jean-Paul II le déclara " saint patron protecteur des hommes dEtat et des responsables politiques ".
De son côté, Lénine lhonora en faisant ériger à Moscou un obélisque où figurait son nom avec ceux de Marx et de Engels, parmi une vingtaine de précurseurs du communisme.
Thomas More na jamais voulu être philosophe et na pas fondé décole, ni élaboré de doctrine; cétait avant tout un homme daction, desprit profondément religieux.
Son uvre principale, " LUtopie ", est un ouvrage littéraire composite, écrit à une époque particulièrement troublée par les guerres et la misère; cest aussi le temps de la découverte du Nouveau Monde et des débuts du commerce et de lindustrie capitalistes modernes.
Pour faire face à cette dislocation progressive de lordre médiéval, une génération de penseurs appelés " humanistes " renouent avec lAntiquité et ses principes de sagesse.
Ce mouvement humaniste, parti dItalie, a gagné lEurope du Nord, avec, en figure de proue, Erasme de Rotterdam qui publie en 1511 son " Eloge de la folie " et le dédie à Thomas More - son ami et alter égo - à qui il confia la tâche décrire un éloge de la sagesse.
La sagesse nexistant nulle part sur la terre, le titre dabord envisagé par Thomas More fut celui de " Nusquam " (nulle part) et lîle dUtopie sappelait la Nusquama (la nulle part); ladoption du mot " utopia " à racine grecque sexplique par le souci des humanistes de lépoque de diffuser les lettres antiques, rejetées par la pensée scolastique du moyen âge.
En jouant sur lassonance entre utopia et eutopia (en grec le préfixe eu désigne " ce qui est bon ", More a pu vouloir dire que lutopie est aussi une " eutopie ", le lieu du bien, le lieu de lharmonie et du bonheur réalisé.
On qualifie aujourdhui dutopique ce qui est chimérique, irréalisable, une illusion ou un mirage. Or paradoxalement, les écrivains comme Thomas More qui ont illustré le genre littéraire de lutopie, du 16e au 18e siècle, avaient pour ambition, en critiquant lordre existant et en proposant de le réformer en profondeur, de réaliser quelque chose de possible.
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LUtopie, après une lettre dintroduction à léditeur P. Gilles, comporte deux livres :
- le premier est un réquisitoire contre les injustices sociales et politiques de lAngleterre; il met en scène un dialogue entre des personnages fictifs comme Raphaël Hythlodée, philosophe-voyageur, et Thomas More lui-même ou son éditeur Pierre Gilles;
- le second, où seul Raphaël parle, est une description de lîle dUtopie, sorte de contre-image positive de ce que pourrait être lAngleterre, si elle était mieux gouvernée.
Utopia est une île inconnue de lhémisphère sud, mais, pour fictive quelle soit, elle nest pas située dans un autre temps ou un autre monde; elle se distingue en cela de l Atlantide platonicienne, cité mythique du passé, ou de la Cité de Dieu augustinienne, modèle politique dune république chrétienne dont la réalisation est à venir.
Utopia est située dans le monde réel; son conquérant-fondateur, Utopus en a fait une île en coupant un isthme de quinze milles qui la rattachait au continent. Thomas More inaugure là le thème de linsularité car lisolement sur lextérieur est essentiel au bon fonctionnement de la société idéale.
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La société idéale dUtopia
Raphaël Hythlodée, qui dit avoir vécu cinq ans dans lîle, est plus que réticent à la décrire car, dit-il, " ce serait raconter une histoire à des sourds " ou " délirer avec les fous "
Utopie contient cinquante-quatre villes grandes et belles où la langue, les lois, les murs et les institutions sont identiques; elle sont bâties sur le même plan , avec les mêmes établissements publics.
La capitale, Amourote, est située au centre de lîle; un sénat répartit avec équité les ressources produites sur les terres cultivables des villes; celles-ci constituent des " familles agricoles " composées de quarante hommes et femmes et de deux esclaves; le service agricole est obligatoire et dure deux ans.
Les utopiens ont aboli la propriété privée et appliquent le principe de la possession commune; ils doivent changer de maison tous les dix ans et tirent au sort leur nouvelle demeure.
Par contre la famille est préservée et honorée; ladultère est puni du plus dur des esclavages, et de mort en cas de récidive; avant le mariage, la chasteté est de rigueur et lexamen prénuptial est exigé.
Les religions sont multiples et coexistent; mais la plupart des utopiens sont monothéistes et reconnaissent un Dieu immense et inexplicable quils appellent " Père ". Les prêtres sont des magistrats élus par le peuple, au scrutin secret, et sont dirigés dans chaque cité par un pontife; ils peuvent se marier; les femmes ne sont pas exclues du sacerdoce, pourvu quelles soient veuves et dun âge avancé.
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Dans son ouvrage, Thomas More insiste surtout sur la sagesse philosophique, le caractère et les murs heureuses des Utopiens; on a là des principes proches des épicuriens :
" Le bonheur, pour eux, ne réside pas dans nimporte quel plaisir, mais dans le plaisir droit et honnête vers lequel notre nature est entraînée. Il leur faut fuir tout acte qui pourrait être source extérieure de souffrance pour soi ou pour autrui ".
Thomas More a donné à lhomme " conscience de ses pouvoirs sur le monde et lui a offert des raisons despérer ".
Lutopie est un moyen et non une fin; cest le lieu fictif par lequel il faut passer pour une prise de conscience, un mirage dont il faut savoir revenir, armé pour le vrai combat.
Loin dêtre un rêve irréalisable, lutopie doit retrouver la signification que lhumaniste lui donnait : celle dun heureux effort de limagination pour explorer et représenter le possible*.
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* Résumé écrit avec des éléments tirés de lexcellent article de J. Montenot Lire 2004.