En attendant les barbares, John Maxwell Coetzee
Dans En attendant les
barbares, le Sud-Africain J. M. Coetzee dénonce de façon extrêmement crue les dérives coloniales et dictatoriales des grandes puissances. Même si aucune référence nest faite à son pays dorigine, cette uvre se veut une critique virulente de la répression et de la torture exercées par l'Etat sud-africain contre ce quil désignait comme étant les «barbares», c'est-à-dire les Noirs. Ce roman a été publié au début des années quatre-vingts. A cette époque, la politique répressive du gouvernement afrikaner mettait lAfrique du Sud à feu et à sang. Le régime ségrégationniste choisissait la fuite en avant et ne semblait croire quà la politique du «tout sécuritaire». Une sombre période dont on retrouvera la violence et le climat délétère dans ce roman.
Lintrigue de En attendant
les barbares est atemporelle et se déroule dans une petite ville perdue dans le désert, aux confins dun Empire aux contours indéterminés. Cette cité est dirigée par un homme éprit de justice, le magistrat. La vie sy écoule paisiblement, au gré des saisons. Pourtant, la menace gronde. Le pouvoir central cherche à attiser les peurs de la population en lui faisant croire quune invasion de «barbares» est imminente. Qui se cache sous ce qualificatif effrayant? Des tueurs assoiffés de sang? Des révolutionnaires conspirant contre le régime en place? Vous ny êtes pas: le pouvoir central désigne comme étant des «barbares» de simples nomades, qui ne demandent quà vivre tranquillement sur des terres quils considèrent comme étant la propriété de tous. Leur seul tort est finalement dêtre différents de la population «civilisée» et de vivre selon des traditions séculaires.
Le pouvoir central naura de cesse de grossir la menace, pour mieux asseoir son autorité. Pour ce faire, il organise des expéditions punitives, faciles à mener contre de pauvres nomades bien peu armés. La soldatesque est dirigée par le colonel Joll, un personnage dune rare cruauté, qui a développé des méthodes de torture particulièrement sordides. La propagande et la répression plongent les habitants de la ville-frontière dans linsécurité la plus totale et les transforment peu à peu en complices des soldats. Seul le magistrat sinsurge contre le nouvel ordre. Dans cette atmosphère dhystérie collective, sa volonté de résistance trouve peu décho. Son monde sécroule comme un vulgaire château de cartes.
Lhomme de loi se fait alors lauteur dun acte séditieux bien particulier: il s'éprend d'une jeune prisonnière rendue aveugle suite aux séances de torture du colonel Joll. Il la prend sous son aile et la soigne, comme pour expier les péchés de la cité. Le juge décide finalement de la raccompagner chez les siens. Lexpédition tournera au fiasco: les soldats qui accompagnent le magistrat se rebelleront et les nomades ne verront pas dans son geste un signe dapaisement.
A son retour, le magistrat est accusé d'intelligence avec l'ennemi et se voit déposséder de sa charge. Croupissant dans une cave, il devient à son tour victime des tortionnaires. LEmpire ne cherche plus à saccommoder du respect des lois. Le magistrat ne pourra donc pas défendre ses valeurs humanistes au cours dun procès équitable.
Les hostilités et son cortège de représailles videront peu à peu la ville de ses habitants. Le chaos sinstalle et la population attend terrifiée lattaque présumée des barbares. Le roman se termine sans message politique. On ne saura jamais si les barbares passeront réellement à lacte et ce quil adviendra du magistrat.
Le sort de lhomme de loi nest pas sans rappeler celui, réel, du militant noir Steve Biko, mort quelques années avant la sortie de En attendant les barbares des suites des tortures infligées par le régime dapartheid. La démonstration de Coetzee se veut pourtant universelle, chaque société jetant lopprobre sur ce quelle désigne comme étant ses «barbares». On pourra par exemple lire En attendant les barbares en tirant des parallèles avec la manière dont l'administration du président américain George W. Bush est entrée en guerre contre lAfghanistan ou l'Irak (les «barbares» daujourdhui). De plus, la prison d'Abou Ghraib nest pas sans rappeler celle du colonel Joll