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L’Innommable - Samuel Beckett
par Amélie Averlan

Editions de Minuit, 1953.

Par Amélie Averlan

L'Innommable fait partie de la trilogie beckettienne. Après Molloy, Malone meurt, L'Innommable est le troisième ouvrage de cette composition. Logiquement, une progression vers l'abstrait se fait jour : d'une identification au non-nommé.

Cette trilogie, et plus particulièrement ici, L'Innommable est marqué par la décomposition : de la décomposition des corps à la décomposition du langage, le lecteur est mis face à une nouvelle poétique : celle du récit. Les personnages ne sont plus ceux des romans traditionnels avec un caractère et une identité, mais ils sont réduits à n'être que des corps ou des voix. Le langage n'a plus de visée discursive mais devient plus poétiquement celui d'une unité musicale. " L'auteur du récit poétique, écrit J.-Y. Tadié, est un romancier qui se souvient de la musique, et il n'écrit pas pour les "gens sans oreille" ". Cette décomposition cède donc la place à une nouvelle composition. Les images et les situations décrites restent internes au texte et ne renvoient à rien d'autre en réalité ; d'où le grotesque et le rire. Un exemple de Premier amour aidera peut-être à faire naître ce rire, suivi d’un passage de L'Innommable :

" Quand elles ne savent plus que faire, elles se déshabillent, et c'est sans doute ce qu'elles ont de mieux à faire. Elle enleva tout, avec une lenteur à agacer un éléphant, sauf les bas, destinés sans doute à porter au comble mon excitation. C'est alors que je vis qu'elle louchait. Ce n'était heureusement pas la première fois que je voyais une femme nue, je pus donc rester, je savais qu'elle n'exploserait pas. "

Et dans L'Innommable, " Tels reçus par l'oreille, ou hurlés dans l'anus, à travers un cornet, tels je leur redonnerai, les mots, par la bouche, dans toute leur pureté, et dans le même ordre[...]. "

Considéré comme mécanique, le corps perd toute humanité et donc toute valeur sensible en est exclue. Le rire naît de cette chose non-identifiée, incongrue, innommable, ne renvoyant à rien d'autre qu'à elle-même. " Il ne faut pas oublier, quelquefois je l'oublie, que tout est une question de voix. Ce qui se passe, ce sont des mots. "

Les mots, mal-menés, perdant leur valeur discursive, ont valeur musicale chez Beckett. Le réseau lexical de la musique tisse cette unité renforcée par les effets sonores et rythmiques du texte. C’est une langue " catéchiste, fielleuse, mielleuse ", " je vais le leur arranger leur charabia ", écrit-il. Et ce langage, s'il perd en grande partie sa visée discursive, prend la valeur musicale d'une litanie : " ces choses que je dis, que je vais dire, si je peux, ne sont plus, ou pas encore, ou ne furent jamais, ou ne seront jamais, ou si elles furent, ou si elles sont, ou si elles seront, ne furent pas ici, ne sont pas ici, ne seront pas ici, mais ailleurs ".

Ainsi, d'une décomposition naît une composition reposant sur la répétition, les allitérations, et autres effets rythmiques et sonores. C'est bien cette " coulée " que l'on peut appeler prose poétique.

 

Amélie Averlan
04/2003

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