par penvins
Avant.
Vassilis Alexakis
Editions du Seuil, 1992.
Avant apparaît dans l’œuvre de Vassilis Alexakis comme un moment de basculement. Au fond le titre dit parfaitement ce qu’il en est : Il y avait un avant c’est ce roman, et il y aura un après . Mais Alexakis se fait un plaisir de nous emmener sur une fausse piste :
"Pourquoi ai-je intitulé ce texte Avant ? Normalement, j’aurais dû l’appeler Après."
A moins que ce ne soit une façon de nous mettre sur la piste ?
Après ce livre Alexakis changera d’éditeur... et la langue deviendra le thème central de ses romans. Parce que ce roman c’est aussi celui où la mère s’en va et donc le début d’un impossible retour qui va permettre une renaissance. "L’écriture peut vous dire des choses que vous ne désirez pas entendre" Elle révèle ce que l’on ne veut pas s’avouer, et ce qui va se passer et que Vassilis Alexakis a bien perçu, c’est cette disparition, d’où ce rapprochement inattendu d’un lieu d’Avant et d’un lieu d’Après. Etrange histoire que celle de cette petite communauté qui vit sous un cimetière parisien, on pense bien sûr aux catacombes mais Alexakis parle toujours de cimetière.
"Je pense quelquefois que, même si je n’étais jamais venu ici, j’aurais été tenté d’écrire un récit situé dans un espace clos, obscur, dépourvu de fenêtre."
La formule s’applique parfaitement à la vie intra-utérine. De son manuscrit écrit dans le noir Alexakis en parle "comme si c’était un bébé", un de ses compagnons a "de plus en plus de mal à [s’]imaginer dans la piscine, entouré de cette masse d’eau." le même Gabriel (L’archange qui annonce la naissance ?) dira plus tard "...notre sortie, ce sera comme une nouvelle naissance..."
Le doute décidément n’est pas permis sur la signification de cet Avant d’ailleurs lorsqu’ Olivier demande "- Mais on n’est pas morts ?" Sa mère lui répond " - Non, mon chéri, bien sûr que non."
Et pourtant ! Il y a un non-dit entre tous ces personnages, une évidence, il est impossible de rompre le fil du temps, on sait bien, même si on ne se l’avoue jamais, qu’il n’y a pas de retour possible, que les vivants peuvent rejoindre les morts mais jamais l’inverse, ils se jouent la comédie mais ils savent bien qu’ils ne reviendront pas dans notre monde. C’est sans doute le deuxième volet de cet étrange livre où l’avant et l’après se répondent. Parce qu’Alexakis est un homme, tout simplement, mais aussi parce qu’il est grec, et sans doute pour la même raison qu’il ressent le besoin d’écrire, la présence des morts est une façon de se relier à l’histoire humaine, chaînon entre un Avant et un Après. Il y a ceux d’avant qui vivent encore mais ne peuvent plus nous parler, et ceux d’après à qui nous devons transmettre le message.
L’image de la mère ET l’image du père. Le père c’est celui qui enterre les morts, qui leur permet de retourner à la terre, aux ancêtres, celui qui passe le témoin.
"Quand j’étais enfant, mon père m’avait emmené au service municipal des pompes funèbres."
Dans "Les mots étrangers" le père du narrateur dirigera le service des pompes funèbres. Le père c’est avant tout le passeur celui qui fait le lien entre les morts et les vivants. Comme l’écrivain qui a écrit ce roman il met les morts hors de notre portée et il donne aux vivants une page de son récit. "Jean-Christophe [son fils aîné] m’a rendu visite. Cela m’a fait énormément plaisir. Je lui ai donné la dernière page du carnet."
Chez Alexakis la mort fait tout simplement partie de la vie d’avant. On vient de ce monde-là et s’il ne dit jamais que l’on y retournera, il ne cesse de témoigner pour que ceux qui viendront après lui puissent continuer l’histoire avec un petit et peut-être un grand H. La langue c’est à ça que ça sert. A passer le témoin. A dire ce que l’on a vu, pour que les autres ressentent un peu mieux l’humour de la vie.
Penvins
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28/04/2003