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Fenêtres - J-B Pontalis
par Alice Granger

Gallimard

J’ai lu ce livre en ayant à l’esprit que jamais je ne pourrais me résoudre à devenir psychanalyste ( j’y avais pensé, on m’avait demandé si j’envisageais...), parce que c’est une sorte d’assignation à résidence, et cela, non, merci...
Voici un psychanalyste qui livre, par ce texte, comment lui il se débrouille. Plus exactement, comment son penchant de toujours pour le littéraire lui permet de se débrouiller avec ce qui me semble une insupportable assignation à résidence. Ma lecture : il peut, là où je ne pourrais pas. Ce qui m’intéresse tout particulièrement : ce goût pour l’écriture, ce livre par exemple, ça surgit devant moi lectrice comme le désir du psychanalyste de sortir de cet intérieur, que cet intérieur soit le bureau où il reçoit ses analysants, sa chambre intérieure, sa tête, ou bien l’appareil psychique lui-même. Au-delà du principe de plaisir...? Comme si écrire, de cette écriture-là, beaucoup plus littéraire que scientifique, en se constituant un vocabulaire privé plutôt qu’un vocabulaire de psychanalyse, c’était le moyen de continuer à parler, retrouvant le don de la langue à la suite de ses patients qui le soignent et qu’il écoute avec humilité.
Lui, l’assigné à résidence, le psychanalyste, qui fait silence pour écouter, restituant à ses analysants le silence des commencements et les sources de vie, comme eux qui s’en vont, s’en va de cette chambre intérieure aux portes fermées par l’écriture, à partir d’une inscription, d’une écriture originaire, d’un pays natal à retrouver dans les choses autres.
Comme si l’analysant, malgré tout, malgré sa névrose, ses impasses, ses souffrances, s’avérait, en parlant, par le don de la langue que la situation psychanalytique lui fait retrouver à son origine peut-être par la qualité du silence qui s’y entend, infiniment plus vivant que l’analyste. Incarné. Il arrive que des analysants se demandent si leur analyste, si silencieux, n’est pas mort, derrière eux, dans le fauteuil.
J.-B. Pontalis nous dit qu’il n’est pas mort, par ce livre qui est autre chose qu’une exposition scientifique concernant sa pratique. De toute façon, écrit-il, il est difficile de dire cette expérience, au début on croit comprendre, et ensuite c’est plus complexe, et en fin de compte quelque chose s’est dépris, s’est perdu. Les congrès de psychanalyse ne l’intéressent plus depuis longtemps. Ce n’est sans doute pas là qu’il peut jouer à lancer la bobine en espérant qu’elle ne revienne pas, à ce jeu du for-da, alors que, dans sa pratique, la bobine revient toujours comme ses patients qui viennent à lui, qui un jour le quitteront pour toujours en en croisant d’autres qui arrivent.
On pourrait lire le premier texte de ce livre ainsi : qu’est-ce qu’un psychanalyste ? C’est quelqu’un qui a fermé ses portes et, se tenant à l’intérieur, a ouvert toutes ses fenêtres sur le proche et le lointain, sur le jardin, les oiseaux, les arbres, les clairières, l’inconnu dans le connu. Les fenêtres ouvertes : l’écoute des analysants, qui viennent à lui parce que ça refuse l’assignation à résidence, et il en sait quelque chose, le psychanalyste. Chacun d’eux : peut-être le grand désir de passer à autre chose. Partir, dans l’écriture, comme chacun d’eux, en se déprenant, en perdant quelque chose, qui pourrait se résumer dans moi, cette fleur de narcisse qui dure si peu mais que personne ne peut arracher, partir comme la bobine lancée par l’analyste ou par la pulsion, comme cet amour qui porte hors de soi, donnant ce qu’il n’a pas.
Une remarque très intéressante : la mère ne peut pas se substituer. Rien ne peut la remplacer. Pourtant, la mère peut être décevante parce que surtout elle ne répond pas à l’attente de l’inattendu, elle est aussi une femme qui regarde ailleurs, cependant rien ne peut la substituer. Ce dont on part, ce d’où on vient, c’est unique. Comme la chambre intérieure. La douleur de la séparation ne peut être déniée par la substitution. Cet autre chose vers lequel va la bobine qui ne revient pas, comme ces analysants qui quittent l’analyste et la chambre intérieure où ils se sont dépris d’eux-mêmes : étranger à l’ordre du maternel ? Mais le mouvement vers cet autre chose ne pourrait-il rester vif qu’à partir de quelque chose d’originaire, d’inviolable, d’immobile en ce sens-là, de cet oubli d’où procède la mémoire ?

Voilà. Une lecture sans doute très personnelle de ce livre.

Alice Granger

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