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Ici même, autre part - Christa Wolf
par Alice Granger

Bienvenue dans Adobe GoLive 6 Editions Fayard.


Christa Wolf, écrivain très remarquable de l'ex-RDA, défend envers et contre tout par l'écriture le droit../dossierpdf/christawolf.pdfienne, plus originaire, plus irréductible que celle d'une Allemande ayant le malheur de vivre dans un pays marqué par l'infamie d'avoir été aux mains des nazis puis des communistes, un pays vaincu dans lequel les habitants sont censés ne plus pouvoir s'exprimer qu'à partir de cette humiliation génératrice de violence et de recherche d'une identité forte compensatrice.
L'écrivain dit par exemple à un intellectuel russe représentant ces gens de l'Est qui ont le plus souffert des nazis que son passé ne peut pas l'empêcher d'avoir parfois tort aujourd'hui, et qu'elle peut elle-même avoir raison aujourd'hui bien qu'étant Allemande.
Les écrivains, artistes, intellectuels qui sont ses interlocuteurs dans ce livre parlent et écrivent tous à partir de cette douleur originaire qui ne peut être circonscrite et expliquée par le fait d'appartenir à une nation vaincue et humiliée. Chacun d'eux est en quête de rencontres d'autres personnes parlant aussi Ici même, à partir de ce lieu insituable, à partir d' autre part. L'exil, le déracinement, le fait d'être étranger, l'extrême inconfort voire le danger à vivre comme intellectuel dans un pays communiste qui met sur écoute téléphonique les dissidents, tout cela dit l'absence de solution politique à l'exil originaire. Voici une écriture qui ne cesse de dire que les humains sont des exilés en naissant, ils viennent de nulle part c'est-à-dire d'un lieu que ne peut restituer même la plus parfaite des utopies, et autre part les appelle par-delà toutes les solutions promises, toutes ces solutions horriblement totalitaires. A l'Est, du temps de la RDA et du communisme, bien sûr il est vain d'espérer une solution utopique, un paradis sur terre matérialisant la dénégation de la séparation originaire, mais à l'Ouest non plus, malgré l'idéologie du progrès en vigueur dans nos sociétés modernes, cela n'est pas possible.
Christa Wolf fait apparaître de manière insistante et précise qu'il y a quelque chose dans nos sociétés modernes, bien au-delà du clivage Est/Ouest, quelque chose qui est à l'oeuvre aussi bien dans l'idéologie communiste que dans l'idéologie du progrès des sociétés occidentale, que les humains ont sacrifié. Qui fait que désormais c'est l'autodestruction qui est en marche. Christa Wolf se pose la question de cette autodestruction en 1980, lorsque des fusées nucléaires sont érigées de part et d'autre de la frontière interallemande. La menace de l'autodestruction se faisant imminente, cela lui fit penser à un infanticide gigantesque, et logiquement la figure de Médée stigmatisée comme infanticide par Euripide s'imposa à elle. Puis la figure de Cassandre, la femme annonçant des choses terribles mais que personne ne croirait. Médée, Cassandre, figures emblématiques de l'engagement de Christa Wolf comme écrivain refusant ce sacrifice au coeur de la société moderne et qui est responsable du germe mortel de l'autodestruction qui la menace, une écriture qui avance envers et contre tout, avec d'autres écritures dont il est fait témoignage dans ce livre, même si personne ne croit Cassandre dans la société du progrès.
Médée existe depuis la protohistoire, depuis avant l'écriture, c'est la femme barbare ( c'est Euripide qui la nomme ainsi ) de l'Orient, et c'est Euripide qui fit d'elle une infanticide. Cet infanticide, écrit Christa Wolf, est une invention de l'Ouest, en Grèce, ce sont les Corinthiens qui ont assassiné les enfants de Médée et la fille du roi Créon, et non pas Médée. L'histoire a été falsifiée. Médée, c'est, à l'Orient, une femme qui donne à la lumière ses enfants, c'est la métaphore de la naissance et donc de la séparation originaire. Est-elle infanticide parce qu'elle ne les garde pas dans son giron, comme le rêvent toutes les utopies forcément totalitaires? Est-elle infanticide, femme barbare, parce qu'elle fait naître ses enfants, parce qu'elle les abandonne à la lumière, à la vie, ayant en eux écrite la référence originaire pour mesurer et rythmer l'aventure des retrouvailles qu'est la vie sur terre? A propos de Médée, Christa Wolf évoque ce retour aux mères, cette sorte de matriarcat, et ce message non censuré des femmes comme métaphore de la naissance comme don à la vie et à la lumière en même temps que la séparation. Retour aux mères, c'est-à-dire à ces paroles de vérité qui n'occultent plus la douleur originaire qui nous constitue tous et qui fait nous organiser en direction des retrouvailles sur terre.
Corinthe, métaphore de la société moderne et de son idéologie du progrès promettant la matérialisation du retour utopique au présent idyllique d'avant la séparation originaire, comme si la douleur pouvait être effacée, comme si les humains n'avaient plus à se préoccuper de l'endroit et de la société où ils vivent car on fait pour eux totalement ( et totalitairement ), a intérêt à faire de Médée, la femme barbare, une infanticide, à comprendre sa façon de donner à la lumière ses enfants comme un infanticide plutôt que comme une naissance, pour que les hommes de cette cité puissent apparaître et fonctionner comme les réparateurs de cette horreur d'être nés, comme les constructeurs d'une société capable de dénier l'inconfort de n'être plus dans un lieu matriciel. Le patriarcat qui s'organise a tout intérêt, pour s'imposer comme les guérisseurs du malaise de vivre hors matrice, à la lumière, en construisant une société du progrès dans laquelle tout est programmé pour le meilleur des mondes, à dénoncer le soi-disant infanticide par Médée, la femme barbare, la femme qui ose dire, mes enfants, vous êtes nés, vous n'êtes plus dans un milieu matriciel même si la société moderne du progrès vous le fait croire. Et lorsqu'elle dit cela, lorsqu'elle dit que la société moderne du progrès, la société construite par le patriarcat, c'est elle qui est vraiment infanticide, c'est elle qui conduit à l'autodestruction puisqu'elle se fonde sur un sacrifice, Médée est aussi Cassandre. Cassandre la femme enlevée pour que, malgré elle, elle soit complice de la société du progrès, la société infanticide, et même si, à travers sa conscience du sacrifice que cela implique pour elle et pour tous les enfants imbibés du progrès, elle annonce des lendemains sombres, qui la croira? Notre société occidentale est si belle, si facile, si bien programmée...
A travers ses textes, Christa Wolf en appelle aux femmes pour qu'elles ne soient pas complices du sacrifice de cette pulsion de vie à l'oeuvre à partir de la séparation originaire, ces femmes qui, dit-elle, furent les premières esclaves, ces femmes qui sont censées faire partie des vaincus en ayant censuré leur côté barbare c'est-à-dire poussant hors du matriciel, donnant à la lumière, ne tolérant plus tous ces gens dont toute la vie n'est que recherche d'un giron douillet et protecteur bien programmé. Que les femmes deviennent des Cassandres en ne tolérant plus et en n'étant plus complices de l'idéologie du progrès dont l'augmentation des pauvres sur la planète montre bien l'échec, qu'elles disent qu'un Etat ce n'est qu'un Etat, qu'il soit totalitaire ou démocratique, que c'est un instrument de domination qui n'est efficace qu'aussi longtemps que les humains attendent de lui une réalisation utopique de retour matriciel, qu'il y a un deuil à faire de cette attente du politique qu'il gère tout. Lorsque les humains auront compris que l'appareil politique sert plutôt aux humains à se séparer de leurs désirs infantiles, ils seront peut-être prêts à entendre Médée la femme de l'Orient originaire, celle qui donne à la lumière, celle qui lègue à ses enfants abandonnés à la vie une sensibilité hors du commun au nouveau, à l'inconnu, aux bifurcations, aux rencontres. Sans crainte. Posant des questions à la réalité et entendant que ces questions soient discutées.

Alice Granger 

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