par Alice Granger
Editions Grasset.
Ce très beau roman, qui se place du point de vue de Lula, une préadolescente racontant de manière très sensuelle la vie en Guyana où après la fin de la colonisation co-existent non sans préjugés racistes Africains et Indiens ainsi que des minorités amérindiennes, chinoise et européenne, met en relief la véritable catastrophe d'un régime dictatorial, celui de Forbes Burnham, d'inspiration marxiste, qui détruit par la terreur et la bureaucratie toute l'organisation, la culture, le rythme spécial de vie de ce coin de terre singulier.
Le choix d'une préadolescente pour dire d'une manière si fine, si luxuriante, l'éveil et la fête sensorielle dans ce pays où les enfants trouvent facilement à satisfaire leur curiosité, qui est finalement sexuelle, est très judicieux. Couleurs, odeurs, paysages, arbres, fruits, personnages, et aussi les haines raciales qui font entendre l'histoire, la colonisation, tout cela à portée de sens, d'observation guidée par la curiosité sexuelle aboutissant souvent à des scènes très drôles, à portée d'intelligence aussi. La pré-adolescence est comme une page blanche sur laquelle chaque nuance, chaque événement sensoriel et sensuel, chaque scène, chaque parole s'écrit. Avec plaisir. Celui qui commence à saisir le corps. Mais pas à la manière d'une colonisation. Il y a beaucoup de récits sur le plaisir sexuel que la jeune fille sent envahir son corps.
Le fameux manguier, qui voit tout et entend tout, qui est témoin de tout ce qui se passe à la maison même dans les lieux les plus intimes, qui domine les routes, les maisons des voisins, etc
semble tout à la fois symboliser l'impression des anciens colonisés d'être toujours surveillés par les colons, la sensation qu'ont les adolescentes d'être surveillées par leur mère en matière de sexualité, et surtout la terreur de cette dictature qui étend son regard partout.
Voici que cette Guyane britannique, ancienne colonie, est avec ce dictateur la proie d'une colonisation nouvelle, idéologique, venue elle aussi d'Europe, mais infiniment plus dévastatrice. Le dictateur produit des clones bureaucrates, qui font les gestes et ne font rien, qui organisent des descentes de police, des gens qui ne reconnaissent plus leurs voisins, leurs amis. Toute la culture luxuriante de ce pays, toute cette sensualité, détruite au nom d'une idéologie, bien sûr pour le bien des gens. Lula et sa famille quitte le pays. On sent que la joie et le plaisir en elle lui ont donné la force de résister à cette colonisation-là et d'en écrire le désastre culturel. Désastre qui se reproduit chaque fois qu'une autre culture, sous forme idéologique, prétend venir faire table rase pour imposer sa bonne influence pour faire le bien de tous.
Alice Granger