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Soleils d’hiver - Jean DANIEL
par Alice Granger

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Editions Grasset.


En lisant ces carnets de Jean Daniel, se présente au lecteur la dimension paradigmatique d'un homme dont il est possible de prendre de la graine pour avoir une idée de comment vivre ensemble sur cette planète. De la même manière que Jean Daniel écrit qu'il a pris de la graine d'Albert Camus en matière de goût du bonheur. Il a quelque chose à transmettre, Jean Daniel. Ressort de ces Carnets une qualité de vie telle que le lecteur devrait avoir envie de se l'incorporer. C'est beaucoup plus qu'une question de transmission entre un ancien plein de sagesse et d'expérience et un jeune avide de vivre sa vie avec intensité prenant de la graine de lui (bien que cette question puisse se poser avec une acuité particulière dans un monde où la jeune génération écoute de moins en moins ses aïeux parce qu'elle pense tout savoir et surtout parce qu'elle est de plus en plus emportée dans un univers festif). C'est un Jean Daniel qui, toute sa vie, avec une grande humilité, prend pour paradigme les hommes et femmes de relief qu'il rencontre, il prend d'eux pour nourrir son exigence d'une vie de qualité, et c'est parce qu'il sait à chaque fois saisir de chacun d'eux ce qu'il a d'absolument libre dans le jugement, dans les actes, qu'il peut aussi être critique par rapport à tous ces gens de qualité sans que cela entraîne la rupture. Jean Daniel peut titiller Hassan II sur la question des Droits de l'Homme, trouver que Mitterrand reste dans le non-dit à propos de Bousquet, etc… toujours reste la fidélité, presque une sorte de reconnaissance.
Jean Daniel écrit que son incroyance est religieuse. C'est très intéressant. Son incroyance : il n'appartient pas à la communauté religieuse juive, il ne se reconnaît donc pas faire partie du peuple élu, il ne sait pas ce que c'est qu'être juif. Sa lecture de Spinoza fait entendre cela. Qu'il y ait des juifs qui se séparent, qui s'éloignent, qui ont pris acte par la séparation de ce que dit Job des filets qui l'enserrent, qui en savent long sur la prison, le joug qu'est l'Election et que celle-ci est indispensable à vivre à condition que ceux qui la vivent soient des saints ou des témoins. Jean Daniel religieux : au sens qu'il se relie. Il se relie sans cesse, depuis toujours, et il ne se relie pas à n'importe quoi ni surtout à n'importe qui. Il se relie à ce qui arrive, tandis qu'il a quitté, depuis un temps immémorial, l'immobilité communautaire voire matricielle. Ce qui arrive : les événements, l'Histoire, toutes ces difficultés et ces indispensables organisations de la vie et des Etats justement parce que l'état de départ est perdu, séparé, cet état d'élection. Soleils d'hiver pour dire que quelque chose d'originaire est irrémédiablement perdu, cordon ombilical coupé, mais que c'est miraculeux puisque cela tourne vers ce qui arrive, vers la lumière, vers la renaissance, la promesse, l'espérance. Ce qui arrive : pour Jean Daniel on a l'impression que ce sont surtout des êtres d'élection, à quelque titre que soit cette élection. Depuis très jeune, c'est remarquable comment Jean Daniel réussit à être reconnu comme l'interlocuteur des grands sur cette planète. On sent l'humilité, cette façon de repérer, de s'incliner devant ce qui a du relief, non pas pour rester soi-même petit, mais parce que devant ces grands, il est possible de se nourrir, d'en prendre de la graine, ceci de manière eucharistique, une sorte d'incorporation symbolique. Jean Daniel retrouve ainsi d'autres élus : des êtres d'élection. Juif qui se dit non juif, qui dit qu'il ne sait pas ce que c'est qu'être juif, pour mieux reconnaître la dimension juive de Jésus comme personnage d'élection. La judaïcité non plus dans un Etat, dans une communauté d'Election qui fait réseau d'influence, filets, voire lobby puissant, mais judaïcité dans les personnages d'élection, dont humblement prendre de la graine pour acquérir soi-même du relief et devenir homme de qualité. Lorsque Jean Daniel écrit sa joie de constater (par exemple à travers le voyage de Jean-Paul II à Jérusalem, la repentance à propos de l'attitude de l'Eglise face à la Shoah) que le christianisme reconnaît son origine juive (la vieille maison, la maison matricielle d'où naître) et que le judaïsme reconnaît (à travers quelques personnages comme Edith Stein, Spinoza, Lustiger) que sa poursuite est dans le christianisme en prenant acte que le Christ était un juif séparé, on entend qu'il parle de lui, de sa propre façon de repérer ailleurs l'Election. Il écrit beaucoup à propos de la Shoah et de son unicité, et maintenant que, comme il le constate, les juifs ne sont plus en danger, qu'ils sont souvent puissants, comme l'est Israël dont les problèmes politiques sont considérés par les Etats-Unis comme des problèmes de politique intérieure plutôt que de politique étrangère, maintenant que la terre d'Election est un Etat puissant, peut-être est-il possible que cette Shoah soit rapprochée du Déluge biblique, du fait que c'est Dieu qui laisse détruire les deux Temples, c'est-à-dire que, comme s'en plaint Job, la terre d'Election c'est un filet, c'est un réseau qui étouffe, de la même manière que le réseau placentaire finit par être une prison étroite à qui veut naître. L'Election, dit Jean Daniel, il faut être saint ou témoin pour vraiment la vivre, et c'est important de la vivre, important de témoigner de quoi l'on se sépare. Sinon, on ne sait pas ce que cela veut dire naître. Les juifs, lorsqu'ils sont saints ou témoins, attestent pour tous les humains de l'état d'Election que fut l'état matriciel.
Soleils d'hiver, c'est une double métaphore. Celle de la naissance : revenir après s'être lavé au fond des mers profondes, après s'être baigné dans le liquide amniotique. Jean Daniel a toujours su qu'il quitterait l'Algérie natale et son soleil radieux, c'était sa façon à lui de se séparer de la terre d'Election, de ne plus être un élu, mais avec l'espérance, comme avec le soleil d'hiver, de le devenir. Lorsque Jean Daniel dit regretter la façon dont De Gaulle a bâclé le sort de l'Algérie, il faut aussi entendre que c'est la même chose que le fait que le christianisme ne reconnaisse pas son origine juive. Jean Daniel a débuté avec l'anti-colonialisme, comme pour dire que la colonisation par l'illusion de réaliser un état électif stigmatisant la supériorité d'une culture sur une autre est inacceptable. Inacceptable d'immobiliser un Etat d'Election, forcément colonisateur, parce que l'élection se retrouve autrement, en se nourrissant d'êtres d'élection, de relief. Et il faut se séparer pour espérer la rencontre de ces êtres de relief. La deuxième métaphore est donc celle de la résurrection. La possibilité de sortir du tombeau, de le laisser vide, comme le Christ. Question sans doute plus vive au crépuscule de la vie. Au point d'écrire des Carnets, pour susciter une transmission dont la dimension soit eucharistique, être parmi ceux dont on peut prendre de la graine. Jean Daniel, assurément, est de ces êtres d'élection qui suscitent le désir d'incorporation symbolique. Alors, revient l'image de son père, qui ne transmet enfin le message que lorsque Jean Daniel réussit à transmettre le sien. La réserve de son père, la gravité, le silence, la solitude, l'endurance, la tradition. Marie Susini gardienne de cette image du père de Jean Daniel.

Alice Granger 

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