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Lettre à Staline - Fernando Arrabal
par Alice Granger

Alice GRANGER GUITARD

Editions Flammarion. 2004.

 

C'est la stratégie du joueur d'échecs surdoué Arrabal qu'il faut entendre lorsque celui-ci écrit qu'il a toujours échoué lorsqu'il a écrit aux puissants au pouvoir et ayant donc le pouvoir de le tuer.

Comment ne pas se faire tuer par qui a le pouvoir de tuer?

Celui qui avait le pouvoir de tuer est devenu le bouc émissaire de ceux qui, à lui totalement soumis et coresponsables des purges, ont retourné leurs vestes pour se vendre aux plus offrants. Ceux qui ont retourné leurs vestes, déclarant qu'ils ne sont plus staliniens, font échec et mat à Staline mort en faisant de lui le bouc émissaire. Le stratège Arrabal joueur d'échecs avait parfaitement compris.

La Lettre à Staline parle essentiellement du fils surdoué d'une mère surdouée.

Et Arrabal bien sûr en sait aussi quelque chose!

Mais, contrairement à Staline, Arrabal n'a sans doute jamais remis à plus tard l'étude de la reine de la fourmilière…

Une immense ironie déferle sur la question des surdoués, on dirait. Un fils surdoué, Arrabal, n'échappe pas à l'ironie, dans la mesure où sa mère surdouée n'y échappe pas non plus, parce qu'à quatre ans le père de ce fils opposant à Franco est arrêté et sera par la suite porté disparu, quelque chose d'essentiel qui, malgré tout, atteint la mère, la reine de la fourmilière, même si sous Franco le jeune Arrabal à dix ans reçoit le premier prix du surdoué. Tout en bénéficiant de la situation, il est très ironique, il a un regard sur la reine de la fourmilière, et tout ceci vient du père porté disparu. Ensuite, l'exil.

La mère surdouée d'Arrabal n'a pas la maîtrise de l'avenir radieux! Il importe de savoir pourquoi. Le cas Staline semble permettre l'investigation sur ce pourquoi. Notamment sur le pourquoi le surdoué Staline s'avère impuissant à vraiment matérialiser l'avenir radieux! Pas plus puissant que son père savetier… La reine de la fourmilière n'a qu'une fourmilière de plus en plus appauvrie à offrir, et les purges massives n'y peuvent rien.

La mère de "Sosso", surnom de Staline petit, qui veut dire "fade" (ensuite ce surnom sera "Koba", le "flatteur" de Lénine, puis "Staline", l'homme d'acier, Arrabal lisant ces surnoms dans leur consonance espagnole) initie son fils aux échecs.

Sous Staline la Georgie aura la meilleure formation mondiale de champions d'échecs, en particuliers de femmes surdouées. Le jeu d'échecs sur l'échiquier mondial permettra aussi de camoufler des espions du KGB.

Mais lorsque, plus tard, Bobby Fisher, le fils de la jeune Regina, taupe de Staline aux Etats Unis après une formation à Moscou comme l'une des meilleures recrues de Staline, (Regina mère surdouée d'un fils surdoué), battra le champion d'échecs de l'Union Soviétique, la reine surdouée de la fourmilière n'allait-elle pas s'apercevoir que cette fourmilière, justement, elle ne la maîtrisait pas, ce pourquoi tant de sbires soumis à Staline avaient si facilement tourné leur veste pour se vendre à une fourmilière bien plus réelle et répondant plus efficacement à leur convoitise!

Il aurait fallu, pour que la reine surdouée reste dans sa fourmilière très active et très efficace matérialiser littéralement une fourmilière qui satisfasse aussi les innombrables fourmis! Sinon celles-ci menacent tout le temps de dénoncer la mauvaise fourmilière, donc sa reine, et de s'échapper, en ennemis, vers une fourmilière plus accueillante…

D'où un Staline, qui voulait devenir un héros et un bon pasteur père du peuple, qui était toujours en train de soupçonner que tous ceux qui étaient à lui soumis, coresponsables des purges, des déportations, étaient aussi des ennemis prêts à le trahir.

Il est resté toute sa vie un dévot depuis ses années de séminariste à Tiflis (faisant plaisir à la femme de sa vie qu'est sa mère), Tiflis étant Tbilissi, qui veut dire "eaux chaudes", ou "eaux infernales", en tout cas signifiant "eaux" comme eaux amniotiques et situé à soixante-dix kilomètres de Gori sa ville natale (rappelant dit Arrabal en espagnol l'apocope de "gorigori" qui veut dire "chant lugubre des enterrements", Gori rappelant aussi l'espagnol "Gora", "Vive!"). Ses rites communistes rappelaient les cérémonies du séminaire.

Tous ces soumis sans lesquels il n'aurait pas pu avec une main d'acier exécuter tant de gens, Staline ne savait-il pas qu'ils pouvaient à tout moment retourner leurs vestes? Ceci justement parce que la fourmilière dans laquelle ils ne demandaient pas mieux que de s'aliéner dans une servitude volontaire pour un avenir radieux n'était pas la bonne, pas vraiment matérialisée? La bonne fourmilière de l'avenir radieux n'était-elle pas à l'Ouest, au pays de Bobby Fisher?

Staline l'homme d'acier, le petit père du peuple, totalement dépendant de gens soumis à lui et coresponsables des purges et déportations en masse, dans une Union Soviétique de plus en plus pauvre, de moins en moins avenir radieux pour les fourmis de la fourmilière, reste aux yeux de sa mère, (ainsi qu'aux trois jeunes filles mineures, Catherine, Nada, Valentina, des inférieures immaculées ne lui faisant pas de l'ombre ni surtout à sa mère mais totalement en adoration devant lui comme sa mère restant à travers elles toujours dans l'incroyable image jeune et arrêtée qu'avait d'elle le jeune "Sosso" croyant par elles échapper à l'ironie du sort puisqu'elles ignoraient l'ironie et que l'une d'elle, Nada, préféra s'ôter la vie plutôt que voir les purges) le fils surdoué héros et guide du peuple à l'intérieur de l'avenir radieux qu'est l'Union Soviétique ventre de sa mère dévouée à lui. Même si cette mère pensa qu'il aura mieux fait de devenir curé!

Staline s'en est toujours tenu à son goût pour des mineures immaculées, lui rappelant sa mère jeune et totalement dévouée, et n'eut jamais beaucoup d'attirance pour l'acte sexuel qui l'aurait fait parjure par rapport à l'intérieur, au ventre, à la datcha de l'avenir radieux représenté par sa mère. Et la très jeune Valentina, totalement dévouée à lui, gouvernante, compagne, manucure, sut si bien soigner les mains de Staline que, si pleines de sang après tant de massacres, elles parurent immaculées jusqu'à son embaumement!

Arrabal le fils surdoué était depuis toujours bien placé pour savoir que, ironie du sort, tout aurait été bien dans le meilleur du monde, sauf que, patatras, cette reine n'était pas dans la bonne fourmilière, donc son pouvoir était réduit à néant!

Ceci était depuis le début de Staline signifié par l'ambivalence des fourmis, des complices soumis à Staline pour la basse besogne, ambivalence provoquée par le fait que la fourmilière qui aurait matérialisé le ventre de l'avenir radieux décidément avait de moins en moins de chance de se réaliser en Union Soviétique mais au contraire se déréalisait de plus en plus. Alors, Staline les fit de plus en plus exécuter, les amis d'hier devenant ennemis d'aujourd'hui, massacrés parce que soupçonnés peut-être d'être toujours sur le point de retourner leurs vestes pour une fourmilière bien plus matérialisée. Massacrés parce qu'ils laissaient entendre la vérité sur l'irréalité de l'avenir radieux!

C'étaient les fourmis de la fourmilière, dont Staline avait su très tôt, à 21 ans, lorsqu'il renonce au séminaire sans le dire à sa mère, parce qu'il ne peut plus supporter sa discipline mais en fait parce que là il n'y a pas de fourmis pour s'y plier par convoitise, qu'il ne pouvait rien faire sans elles.

Il ne pouvait rien faire sans des gens fondamentalement en état d'addiction (et qui seuls seraient capables de faire soupçonner cette vérité insupportable à Staline que l'objet de leur addiction n'était pas en Union Soviétique mais à l'Ouest, comme le dira le fils de la surdouée Regina Bobby Fisher en battant aux échecs le champion mondial géorgien), habités d'un savoir quasi viscéral quant au lieu, l'Ouest, où se trouvait matérialisée cette fourmilière.

Pauvre reine de la fourmilière, semblait avoir dit secrètement et avec une immense ironie le fils surdoué Arrabal à sa mère surdouée, ce dont tu rêves pour moi ne pourra jamais se matérialiser, et je l'accepte avec une immense ironie, pour la simple raison que la fourmilière, ce n'est pas toi qui en est la propriétaire comme tu imaginais que tu étais propriétaire de ton ventre. Et pour savoir où se trouve la vraie fourmilière, la matérielle fourmilière, rien de mieux que de suivre les fourmis, lesquelles n'hésiteront jamais, un jour ou l'autre, à retourner leur veste, à se déclarer à l'ère poststalinienne ne plus être staliniennes, et à se mettre en route à la queue leu leu vers la bonne fourmilière comme vers un avenir radieux bien plus matériel!

Donc, à cause de cette dépendance par rapport aux fourmis, sans lesquelles n'est-ce pas la reine ne peut survivre, fourmis qui conduisent infailliblement au ventre radieux qui rend hommage à la reine qui peut enfin s'en croire à jamais propriétaire comme si son fils surdoué, son chef-d'œuvre, était encore dans son ventre immaculé, le surdoué joueur d'échecs Arrabal peut être bien supérieur à Staline sur cet ironique échiquier: il suffit d'attendre, de laisser faire!

C'est la fourmilière de l'Ouest, bien désignée par le fils surdoué de l'Américaine Regina la meilleure recrue de Staline, qui d'ailleurs n'en avait pas fait pour rien une taupe aux Etats-Unis comme s'il avait de plus en plus soupçonné que la vraie fourmilière pour sa pauvre reine était là, et bien repérée aussi par les fourmis à l'instinct infaillible, qui fait ironiquement échec et mat au fils surdoué, et à sa mère surdouée! Sacrée partie d'échecs que celle qui est entre les lignes racontée dans cette lettre d'Arrabal à Staline.

Bien sûr, le précurseur Arrabal perd s'il ose affronter les puissants de leur vivant. Mais s'il réussit, comme dans ce livre partie magistrale d'échecs où un fils s'avère surdoué autrement, à prouver que le fils surdoué de "Kéké" (qui veut dire en espagnol "quoi quoi") et de "Besso", qui veut dire en espagnol "baiser", Besso père savetier de Sosso ( le fade ) dont celui-ci plus tard aura honte, après la conception duquel le père ne voulut plus connaître bibliquement sa femme, Sosso né après trois frères morts peu après leur naissance et restant le fils unique de sa mère unique femme de sa vie chaste et marquée par son goût pour les jeunes filles mineures réalisant l'exploit d'être à la fois des inférieures fascinées dévouées et l'image arrêtée d'une mère immaculée ne vieillissant pas et restant par l'apparence à travers ces très jeunes filles la jeune mère de Sosso, donc s'il réussit à prouver que ce fils-là est en réalité mort, il gagnera.

En effet, la mère du futur Staline appelle son fils Iossif, c'est-à-dire Joseph, le chaste Joseph. Chaste Iossif, en effet, fut toute sa vie Staline, si peu intéressé par la chose pour être resté tourné vers la seule femme de sa vie, sa mère surdouée, simplement en la rajeunissant par des mineures, Catherine, Nada, Valentina, l'avenir radieux involutif. Le fils surdoué futur Staline inventa en quelque sorte une autre façon d'être aussi, comme ses frères, mort-né, en restant dans un ventre avenir radieux qui s'avéra ne pas avoir vraiment d'avenir puisque, s'ils ne furent pas victimes des purges et déportations en masse les exécutants de Staline retournèrent leurs vestes et Staline eut besoin de taupes à l'Ouest lorsqu'il soupçonna que la matérialisation de la fourmilière pour sa reine ne pouvait se faire qu'à l'Ouest.

Parmi toutes les falsifications de Staline, il en est une très significative: falsifiant sa date de naissance, Staline déclara être né le 21 décembre 1878, or une croyance géorgienne d'origine perse recommandait de tuer les enfants nés un 21 décembre! Donc, remarque Arrabal, Staline se choisit une date de naissance qui correspond à une date pour mourir…

Staline resta toute sa vie fidèle à sa jeunesse de séminariste: sauf qu'il dut aller chercher en dehors du séminaire le peuple dont devenir le guide vers un avenir radieux, vers le paradis! Mais c'était la même chose!

En Union Soviétique, malheureusement le père qui n'est qu'un pauvre savetier ne peut réussir à tisser la matérialité de l'avenir radieux sans laquelle il ne peut être comme un ventre immaculé où rester. En Occident, bien sûr, les pères, de plus en plus, sont des savetiers qui savent beaucoup mieux tisser…

Arrabal, lui, a un père porté disparu…

La mère a beau être surdouée…le père savetier, le père qui, bizarrement, ne tisse pas bien, alors l'avenir radieux ne peut avoir vraiment de réalité, même si lui, Staline, croit pouvoir faire mieux que son père comme père du peuple à l'image de ses modèles maîtres du séminaire.

Arrabal peut d'autant mieux soupçonner que l'ironie vient de ce père savetier, ce père comme impuissant à retisser le ventre radieux matérialisé d'où une mère surdouée forcément rendue impuissante face au fils surdoué qu'elle voulut concevoir, qu'il a eu lui-même un père porté disparu dont il semblerait qu'il n'a jamais pu ne pas s'apercevoir qu'il avait foutu en l'air le projet de sa mère à l'endroit de son fils surdoué, chef-d'œuvre, permettant ainsi à ce fils de pouvoir prendre le chemin de l'exil…hors de l'avenir radieux maternel.

Qui suis-je, écrit Arrabal à Staline, pour vous demander des comptes?

J'ai envie de répondre: je suis un fils dont l'intelligence de surdoué a réussi à déjouer les projets à mon endroit d'une mère surdouée à l'intelligence forcément redoutable! Car, dans cette incroyable partie d'échecs que nous lisons entre les lignes de cette Lettre à Staline, il y a l'intelligence du père qui entre aussi en jeu! Et cela change tout! Alors Arrabal n'a jamais eu besoin d'adhérer à un parti ou à une bande! Dans le sillage de son père parti ailleurs, il a toujours préféré des êtres exceptionnels, comme lui est exceptionnel!

Alice Granger Guitard

18 mai 2004

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