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Peuples en armes, peuples en larme - Georges Didi Huberman
dimanche 5 juin 2016 par Jean-Paul Gavard-Perret

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Georges Didi-Huberman : Eisenstein l’ « anachronique »

Georges Didi Huberman, « Peuples en armes, peuples en larmes », Editions de Minuit, Paris, 2016.

Après ses travaux sur le drapé et son superbe « Sortir du noir » sur un film « Le fils de Saul », Georges Didi-Huberman revient sur un cinéaste plus ancien - Eisenstein - pour le sortir d’un certain silence ouvert par Barthes et Pasolini.

A chaque œuvre tout se rejouant, Didi-Huberman rappelle et se rappelle qu’il n’existe en elle rien de familier. Dans le cas d’Eisenstein sa prétendue alliance au stalinisme. Relisant les textes théoriques du cinéaste sur le monde des images, l’auteur rappelle la critique de Pasolini selon laquelle il ne suffit pas d’être émouvant pour être critique. Pour l’Italien par leur côté héroïque les personnages du cinéaste soviétique ne seraient que des marionnettes. Voire...

Mais la critique de Barthes est plus radicale et l’effet de sa question sur l’émotion face aux images peut représenter une méprise dangereuse. Etant contre l’émotion collective Barthes est insupporté par les « mater dolorosa » du Potemkine. Sans doute au nom d’un problème personnel de celui qui se voulait « mère de sa mère ». Mais le rejet de l’émotion collective est chez Barthes aussi politique. Ce type d’émotion demeure pour lui « pitoyable ». Or Didi-Huberman remet en phase cette emphase et les « formules sociales de pathos ». Pour lui le pathétique n’est pas forcément malsain et facile. Il peut avoir force de légende.

Barthes n’en a cure et revendique une emphase a minima et elliptique où il ne se passe rien. C’est oublier ce que le sémiologue rappelle : Eisenstein a su parfois la produire par des plans où la douleur se dit juste par un vol d’oiseau. Barthes a créé sa critique à partir quelques photogrammes tirés de numéro des Cahiers du Cinéma. Ce qui est presque « moralement » discutable. D’autant que chez Eisenstein la lamentation passe parfois uniquement par la brume, l’eau et quelques gréements de fortune. Les possibilités formelles de l’auteur sont donc bien plus importantes que Barthes a cru le « voir ».

Les femmes en pleurs, un homme qui meurt dans le « Potemkine » : une vision que Bataille dès 1930 avait comprise. Car il existe chez Eisenstein non seulement la question du montage mais celle du pathos. A ce mot dévalorisé (central pourtant autant chez Nietzsche que chez Deleuze) Didi-Huberman redonne un sens qui renvoie à son travail sur les photos « extrêmes » d’Auschwitz qui ouvrirent la voie à une violente polémique.

La teneur du pathos est toujours essentielle dans l’histoire des images. Elle lui est centrale. Et le critique prouve que chez Eisenstein le pathétique est toujours généreux à l’inverse de ce qui se passe chez Godard. Pour les deux cinéastes l’Histoire est centrale. De plus ils ne se contentent pas de l’histoire du cinéma. Leur conception du cinéma est des plus ouvertes. Mais à Godard qui affirme « j’aime confondre » et qui noue son cinéma sur une autorité personnelle, Eisenstein oppose une posture beaucoup moins « de maître ». Il ne se veut pas comme un père « qui sait tout mais ne dit rien ». Et contrairement à Godard il ne laisse rien par-devers lui.

C’est pourquoi, après un récit d’une défaite (« La Grève ») avant celui d’une victoire (« Octobre »), le Potemkine reste le récit d’une défaite qui devient victoire. Eisenstein prouve, après Nietzsche et Deleuze, que l’affect n’est pas une impuissance et qu’il existe une différence entre pouvoir et puissance. Dans le Potemkine l’impouvoir va paradoxalement avec la puissance. Dans un film de commande, officiel qui suppose des contraintes, Eisenstein parvient à introduire ce qui n’allait pas dans le sens de l’Histoire officielle bolchevique. Il existe dans ce film des audaces de mises en scène, d’ « anecdotes » et même musicales que ne concevaient pas l’esthétique officielle.

Analysant les plans du film, Didi-Huberman montre comment Eisenstein fut accusé de formalisme par Dziga Vertov puis par les conseils politiques staliniens d’un « mal » plus profond. Si Vertov rejette le côté bourgeois-épique de la représentation, avec les politiques cela change de ton : et le réalisateur verra certains de ses films brûlés. Véritablement révolutionnaire, l’art de temps qu’est le cinéma d’Eisenstein devient incompréhensible aux bureaucrates. Pour celui-là (lecteur de Freud) il faut savoir « régresser ». Et en 1935 au risque d’être fusillé, il revendique devant ses juges ce verbe que Didi-Huberman, en le mettant en exergue, nomme « anachronique ».
Eisenstein invente ainsi une anthropologie de l’image qui aboutira aux fragments de « Vive Mexico » et son écartèlement d’images. L’œuvre finira à l’état de ruine dans cette œuvre inachevée où les femmes en pleurs et leurs gestes premiers représentent (ou auraient représenté), telles des Ménades, la vraie force révolutionnaire et le primitivisme du futur.
Jean-Paul Gavard-Perret.

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