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Le langage comme littérature
mardi 24 septembre 2013 par Jean-Paul Vialard

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Le langage comme littérature

Le langage comme littérature.





 "Lui. Sans âge, il est.

A mi-chemin de la vie.

Peut-être plus, peut être moins.

Indéfinissable.

Lui. La cinquantaine. On dirait.

Le teint basané. Criblé de vent.

Des rides barrent le front.

Calvitie bien avancée,

ménageant deux golfes clairsemés

autour d’une presqu’île de cheveux.

Les yeux : vagues, lointains.

Des yeux qui ne vous voient pas.

Qui sont dans l’errance même.

Dans la non-connaissance des choses."



Ceci n'est pas du réel.



  Dans le texte encadré ci-dessus, il est parlé de "LUI", sans autre précision. Ceci énoncé, l'on aura aussitôt perçu que cet extrait d'un texte plus long fonctionne dans le cadre d'une fiction, d'une écriture. Quant au discret "LUI", il ne signifie ni plus, ni moins que si Celui dont il est parlé portait nom et prénom. Dès qu'il s'agit d'écriture, les informations, fussent-elles minimales - souvenons-nous de "Personne" dans Ulysse -, sont de purs signes référant à un signifié - le personnage fictionnel -, et il n'est guère besoin de recourir à d'autres balises afin d'assurer la quadrature existentielle qui va occuper l'espace du texte, du roman.

  Car si nous sommes dans la littérature, non dans le document ou bien le reportage, ceci suffit à tracer l'esquisse à partir de laquelle l'écrit fonctionnera. Quand Victor Hugo écrit "Les Misérables", qu'il décrit Cosette, Gavroche, Jean Valjean, certes les nomme-t-il, certes en établit-il les traits significatifs. Ceci est question d'intention, de style littéraire. On n'écrit pas un texte de recherche formelle de la même manière que l'on compose une large épopée. Hugo avait besoin d'un empan "historique" afin que son roman s'inscrive dans une aventure vraisemblable.

  Cependant, même chez ce génie des lettres, pour autant que les personnages sont fortement campés, ils n'en sont pas moins des  effigies entièrement fictionnelles. Jamais Valjean n'est venu frapper à la porte de quelque lecteur que ce fût, celui-ci fût-il ancien bagnard. Cela va de soi, mais la prudence est toujours de mise en la matière, car la confusion, l'assimilation réciproque du réel, de l'imaginaire, du symbolique sont monnaie plus que courante. Sans doute une telle insistance à faire se confondre les registres provient-elle, essentiellement, de la position charnière qu'occupe la fonction  symbolique, à savoir le langage écrit, entre, précisément, l'imaginaire et le réel. Pour autant, il y a différence essentielle et il va de soi qu'un mélange des genres ne peut s'opérer que lorsqu'un de ces registres a été gravement altéré, comme chez le schizophrène, par exemple, où il y a épanchement des registres l'un dans l'autre, ce qui, bien évidemment, constitue un cas limite.

  Mais revenons à la littérature, au langage et aussi bien aux deux puisque celle-là, la littérature, ne saurait exister sans celui-ci, le langage. On aura tout de suite perçu que la proposition inverse ne peut trouver à s'actualiser, car le langage peut fonctionner en dehors du projet littéraire, ne serait-ce que dans la conversation mondaine, nous voulons dire "inscrite dans le monde". Mais si le langage a à fonctionner en littérature, il ne le peut qu'à la condition d'en constituer l'origine. C'est le langage qui est premier, la littérature, la poésie en étant les possibles déclinaisons, sublimes sans doute, mais déclinaisons tout de même. On ne pourra entrer convenablement dans un texte qu'à la condition expresse d'en avoir fait la thèse. Tout le cadre fictionnel, nécessairement parti de l'imaginaire de l'Ecrivain aura trouvé dans l'activité symbolique - l'écriture - les moyens d'assurer à l'histoire, au conte, à la fable, au récit, aux multiples développements romanesques, les conditions de leur existence.

  La littérature, jamais ne peut être la résultante d'une pure délibération du créateur, d'un décret qui la poserait comme un objet en soi, faisant abstraction de ce qui la constitue, à savoir le langage en tant qu'essence de l'homme. C'est pour cette raison de l'antériorité de la parole sur l'acte qui la "met en œuvre", au sens métaphorique du terme, que le roman, ses personnages, son cadre, ses événements ne peuvent être que seconds. Ce ne sont pas les personnages qui ont fait - au sens grec de poïesis, production -, le langage; mais c'est bien plutôt le langage qui a permis que ces protagonistes fassent phénomène au regard de la conscience du Lecteur.

  Car, lorsque nous lisons, c'est un livre que nous tenons entre nos mains, du papier, de l'encre, un texte, des chapitres, des mots, des lettres, des signifiants et, tout au bout de la chaîne, des signifiés, des efflorescences, des abstractions, de l'éther, de l'invisible, de l'impalpable, de l'intouchable. C'est bien là le "miracle" du symbole, sa fonction première, "qu'il donne à penser", selon la célèbre formule du Philosophe Paul Ricœur, ce qui revient à dire, en dernier ressort, qu'il dépose devant nous, affects, percepts, concepts, mais ceci est déjà  tellement de l'ordre de la forme, de l'idée, que nous pouvons seulement en saisir le caractère, l'évanescence, la consistance de brouillard, comme nous percevons le Farghestan à partir du Rivage des Syrtes. Car, lorsque Julien Gracq écrit, c'est à ces "spectres" qu'il fait appel afin que, depuis les rives transcendantes de l'art, ils puissent venir nous adresser la parole du roman, la fuite éternelle de la fiction.

  C'est une remise des personnages à notre imaginaire - jamais de vrais personnages - à laquelle procède l'Auteur. Chaque conscience lisant en fera son affaire à sa façon, recréant selon les mille facettes de la fantaisie - qui est en même temps une des actualisations de notre propre liberté -, recréant donc chaque espace, reconfigurant la "réalité" du contenu selon ses affinités, ses passions, ses goûts. Si la fiction était première, si les personnages étaient des blocs intangibles, de pures concrétions matérielles dictant leurs lois au langage, alors comment pourrait-on expliquer la ductilité des situations, la constante mobilité des cadres auxquels sont soumis, en permanence, tous les livres dès leur réception par les Lecteurs ?  Aussi bien que ce "LUI" de l'énonciation, figurant à l'incipit de l'article, laissait la porte ouverte à tous les remaniements conceptuels, à tous les chemins de l'imaginaire, car c'est le langage de l'Auteur qui est confié au langage du Lecteur. Langage jouant en écho avec lui-même.

  Le langage comme littérature. La peinture comme tableau. L'harmonie comme musique. La forme comme sculpture.

Entre langage, peinture, harmonie, forme, il y a homologie.

Comme il y a équivalence entre littérature, tableau, musique, sculpture.

Le langage joue à titre d'essence, alors que la littérature, à l'aune de ses diverses productions, existe dans des œuvres.

C'est pour cette raison que le fonctionnement en chiasme peut s'appliquer et donner ceci :

Le langage comme littérature, la littérature comme langage.

Car c'est le langage qui, du-dedans de son essence  crée la littérature, alors que la littérature ne peut que s'illustrer à l'aune du langage.

  Quand nous parlons de littérature, il s'agit, bien entendu, d'un langage porté à sa dignité, à savoir détenteur d'une forme de vérité. Car il ne saurait y avoir d'œuvre "réelle" qui puisse s'exonérer des universaux classiques du Beau, du Bien, du Vrai.

Ce réel qui nous enserre de toutes parts, nous fait êtres de corps et de chair, nous incline à penser, souvent, que toute chose est réalisée à notre image, ces personnages de romans que, parfois, nous penserions vivants ne sont que des leurres de papier et des miroirs aux alouettes. De ceci il nous faut être persuadés afin de ne pas sombrer dans les égarements de la folie. Car le fou se prend toujours pour ce qu'il n'est pas. Il s'invente parole, voix, langage alors que son corps crie dans le silence et que son personnage égaré se perd parmi la multitude.

  Jamais littérature ne nous égarera, jamais elle ne s'égarera elle-même si elle s'origine dans ce langage qui est sa source vive. A défaut de cela le "livre" se perd dans les sombres confluences consuméristes dont la mode est la navrante figure de proue. Sauvons la littérature du désastre. Il est encore temps. Nous avons le LANGAGE pour cela.

 





R. MAGRITTE

"La trahison des images."

1928-29, huile sur toile,

Los Angeles county Museum of Art, Los Angeles.

Source : VULG'ART.





Ceci n'est pas Magritte.



"Lui. Sans âge, il est.

A mi-chemin de la vie.

Peut-être plus, peut être moins.

Indéfinissable.

Lui. La cinquantaine. On dirait.

Le teint basané. Criblé de vent.

Des rides barrent le front.

Calvitie bien avancée,

ménageant deux golfes clairsemés

autour d’une presqu’île de cheveux.

Les yeux : vagues, lointains.

Des yeux qui ne vous voient pas.

Qui sont dans l’errance même.

Dans la non-connaissance des choses."



Ceci est du langage.





L'image d'une pipe n'est pas une pipe.

 L'histoire d'un personnage n'est pas le personnage.

 L'histoire d'un personnage est du langage,

et nulle autre chose.

 Penser différemment

entraîne le langage à être ce qu'il n'est pas,

à savoir pure contingence,

et la littérature à ce quelle ne saurait être,

 à savoir un langage par défaut.  

 



 


























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