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David hockney : a Bigger Splash - Jack Hazan
vendredi 22 juin 2012 par Jean-Paul Gavard-Perret

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DAVID HOCKNEY ET LE CORPS GAY
Jack Hazan, "David hockney : a Bigger Splash", avec D. Hockney dans son propre rôle, DVD "La Compagnie des Phares et Balises", Lyon

C’est en 1974 que Jack Hazan réalise "A Bigger Splash". Il aimait déjà filmer les peintures et lorsqu’il découvre une exposition d’Hockney constituée de doubles portraits une idée lui vint : " Je me suis dit : c’est génial. Je pourrai juxtaposer les personnes et leurs portraits. C’étaient des doubles portraits. Il y avait une espèce de tension au sein même des tableaux. J’avais de la matière. Voilà comment ça a commencé". Après une première rencontre avec le peintre au moment d’une altercation entre ce dernier et son ancien ami (Peter Schlesinger) le réalisateur va trouver dans cette crise son scénario. Les deux amants deviennent les acteurs de " A Bigger Splash". Pour chaque journée de tournage Jack Hazan prépare dans une enveloppe une seule question à poser aux deux hommes qui devient une sorte de canevas journalier. Le cinéaste - qui dirige mais fait aussi le cadre et la lumière de son film - suit les deux personnages ainsi que ceux qui viennent chez le peintre. Il ne s’agit pas pour autant d’un film d’observation : certaines scènes sont recréées, Hockney s’y prête, s’y plie faisant abstraction de toute pudeur ce qui ajouta au scandale d’un film dont le propos par lui-même était déjà scandaleux. On n’est encore qu’en 1974 et le film aborde sans tabous l’homosexualité. La censure de Grande-Bretagne interdit d’emblée le film. Il finit cependant sous la pression des critiques par obtenir un premier visa de sortie (interdit aux moins de 18 ans). Mais il faut attendre 2002 pour qu’il obtienne un visa tout public.

L’exécution de deux des tableaux les plus célèbres du peintre anglais constitue la trame de la " fiction " narrative. Il s’agit d’une part de " Portrait of an artist (pool with two figures) ", tableau où se confrontent une silhouette nageant et une autre la contemplant du bord d’une piscine. De l’autre il s’agit d’une œuvre peinte un an plus tard "A Bigger Splash" dans lequel Hockney en une sorte de confrontation critique et passionnée avec le formalisme va jusqu’à "confondre" à dessein l’eau de la piscine avec la peinture elle-même. Le nageur devient une allégorie de la figure peinte et la piscine le symbole de l’art. A cela Hazan ajoute une fusion de l’art avec la vie du peintre et permet une sorte de rêve et de dérive sur le portrait d’un esthète au moment où sa vie intime et sa création subissent une crise existentielle et esthétique sur fond d’homosexualité. Mais dans un tel film, l’exhibition du corps gay ne passe plus par les " clés " des films de genre sur le sujet. Hazan refuse tous les subterfuges pour faire prendre des vessies pour des lanternes et permettre de faire passer la pilule “ amère ” aux yeux des “ bien ” pensants. A ce titre "A bigger splash" représente autant un film sur la peinture qu’un film gay "militant". Surgit une homosexualité assumée et revendiquée comme telle devant et derrière l’objectif de la caméra qui pourtant n’a jamais rien de voyeuriste. A l’impudeur douloureuse (ou parfois joyeuse) d’Hockney répond la retenue de Hazan. Et si un tel film marque une avancée dans le discours et la reconnaissance gay c’est parce que justement il donne l’impression d’un naturel qui n’a rien à voir avec le naturalisme. Existe toutefois un chant (plus qu’une exhibition - à l’exception d’une scène) du corps homosexuel.

Hazan en rompant avec la logique de la différenciation sexuelle ancestrale des rôles, rejette la figure stéréotypale et imposée de la "folle" et il endigue le flot rampant des idées reçues en refusant autant un système de récupération que d’effacement. Tout est assumé comme si le mâle homo l’était par état " de nature " et le film échappe à l’ordre de l’anomalie ou de la monstruosité. Hazan montre ainsi une réalité complexe qui unit deux hommes (comme elle pourrait unir une femme et un homme) mais aussi deux artistes fiers, solidaires, épris de leur liberté, intelligents, sensibles et courageux aux prises avec les problèmes que posent leur vie et leur approche de l’art. Quoique exhibé et scénarisé, le corps pose dans ce film deux questions centrales dans la vie comme dans l’art : de quel corps s’agit-il ? De qui est ce corps ? Voilà bien la double et périlleuse question que pose un film qui loin de la " propagande gay " interroge autant le sens de la vie que celui de la peinture. Il montre aussi comment le corps social et le corps intime ont donc partie liée. Et si ici les gays font parfois figure de perdants, ils gardent quelque chose de magnifique.

Mais se pose une troisième question par-delà la scission homo et hétéro : l’idée que l’on se fait du monde est-elle la bonne ? Et s’il peut exister encore de ces utopies dont on déplore l’absence ; n’est-ce pas là qu’il conviendrait de les découvrir ? En tant que mâles hétéros nous pouvons nous sentir ravis car nous ne pouvons en être ravis. Le film lutte ainsi contre deux peurs : celle qu’induit la différence et celle qu’induit la toile vide comme s’il s’agissait d’une question d’envahissement . Ce corps - paradoxalement hétérodoxe par son homosexualité - peut cacher le secret de l’être. Et l’art tente de le montrer. Mais la démarche reste complexe et lente afin que nous l’acceptions. La vie possède soudain un visage inconnu que nous préférons souvent rejeter à l’horizon comme si ce corps n’appartenait qu’à l’Autre visuellement proche, mais qui, en raison aussi de son agrandissement fantasmé par la peinture et le film, devenait objet de crainte et de fascination (c’est lié). "A Bigger Splash", à travers l’exemple du peintre anglais, permet d’atteindre ce qui pour beaucoup échappe à leur construction mentale et à d’autres ce qui spolie leur identité. Hockney comme le prouve Hazan a réinventé ce corps et sa représentation iconographique et mentale au sein des consciences hétéros dominantes dans notre société. Il a prouvé aussi que la peinture restait toujours à réinventer .

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