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Le mystère Van Gogh Qui a volé ma gloire ? Antoine George

Art3-Plessis Editions, 2017

jeudi 3 mai 2018 par Alice Granger

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L’intérêt de ce livre, qui se saisit comme par une lecture flottante qui traverse de part en part le texte pour en retenir... une peinture arrivant à sa maturité, à sa gloire, à sa singularité, aurait à mon avis beaucoup gagné à ne pas être présenté comme donnant la parole aux deux frères, Vincent et Théo, en miroir. L’auteur aurait alors donné son propre point de vue, à partir du questionnement qui traverse cet ouvrage : est-ce que Théo a volé la gloire de Vincent ? Poser la question ainsi, n’est-ce pas se placer du point de vue de cette gloire posthume, alors qu’elle n’était évidente à aucun des deux frères de leur vivant ? Pour voler quelque chose, il faut que cette chose existe ! D’autre part, est-ce que Théo et Vincent se seraient exprimés de cette manière ? On aurait aimé plus d’extraits de lettres de Vincent, afin de se rendre compte de son style.

J’ai trouvé ailleurs l’intérêt de cet ouvrage. C’est que l’auteur, à force de montrer les tensions à l’intérieur de la famille, suscitées par cet être asocial, qui fait de plus en plus honte mais qui n’abdique jamais sa résistance, à force de traquer chaque tentative de normalisation, de recadrage venant parfois de Vincent lui-même, toujours suivie de révolte et de fuite toujours plus en avant dans la marginalité et la déchéance, finit par nous prouver que c’est ainsi, et pas autrement, que la peinture de Van Gogh a pu s’inventer, évoluer, s’affirmer, jusqu’à ces couleurs et ces tremblements de l’énergie intérieure qui alors deviennent si visibles dans les œuvres qu’ils valent une signature ! Eclate la gloire de cette peinture qui est, littéralement, cette autre vie victorieuse, intérieure, que la triste vie familiale voulut tuer ! Une gloire picturale qui a réussi à gagner avec toute l’énergie du désespoir ! La mort prématurée des deux frères ne dit-elle pas l’abîme de désespoir familial d’où a surgi cette œuvre, un désespoir venant de cette vérité intime, toute protestante, le fait d’appartenir à la partie non prédestinée de la famille, le père pasteur relégué dans une triste ville étant déclassé par rapport à ses riches frères et sœurs ? Un artiste est un être qui se révolte, qui s’en va envers et contre tout vers un autre monde, qui refuse le cadre suicidé d’une stricte vie sans rêve ni couleurs ! Ce qu’il ne pouvait pas vraiment vivre, sa peinture a fini par le donner à voir. Théo a sans doute inconsciemment, en portant à bout de bras son frère financièrement, soutenu le rêve familial de liberté, d’une autre vie, en traversant la honte de n’être pas prédestiné. La honte de ne trouver de réconfort qu’auprès des prostituées, d’où la syphilis, qui à l’époque vaut condamnation à mort.

J’ai trouvé aussi un intérêt dans le fait que l’auteur donne une discrète importance à cette mère et son fils, qui restent après la mort de Vincent Van Gogh et celle de Théo six mois après : Jo, la femme de Théo, et… son fils Vincent encore bébé ! L’auteur les fait apparaître au début, et ça, c’est très important pour le mystère Van Gogh ! Il y a donc trois Vincent Van Gogh ! Le premier, le frère aîné, est mort avant la naissance du deuxième, qui devient peintre mais reste un révolté, un asocial dont sa famille a honte. Le troisième est le fils de Théo, qui lui donne le même prénom ! Théo était déjà très malade de la syphilis lorsqu’il s’est marié et a eu ce troisième Vincent. Il savait sa fin proche. Voici ce troisième Vincent qui est à la fois l’héritier de Théo, et du deuxième Vincent, le peintre. Comme par hasard, c’est sa mère, Jo, qui va mieux savoir promouvoir la peinture de Vincent Van Gogh, ou bien va pouvoir exploiter une œuvre enfin arrivée à sa vérité incomparable. On pourrait dire que c’est quand même Vincent Van Gogh qui va jouir de la gloire du peintre, sauf que c’est le troisième !

Ce qui frappe donc, en lisant ce livre cadré par la lente agonie du peintre blessé mortellement, c’est que l’échec n’a pas commencé avec le peintre, même si celui-ci l’a accentué en devenant de plus en plus asocial comme pour faire entendre une vérité honteuse sans cesse refoulée. C’est le père de Vincent Van Gogh qui l’est déjà, par rapport au reste de sa famille, qui a très bien réussi. Le père est un pasteur protestant qui doit s’accommoder d’une triste paroisse, c’est un déclassé qui cherche à se rattraper par une vie très stricte en rapport avec son sacerdoce. Mais de la raison intime, inconsciente, inavouable, de ce déclassement, cette résistance à une telle vie, n’est-ce pas Vincent qui en a hérité, et qui a dit l’inacceptable de la non prédestination ? Le fait, pour le père, de ne pas réussir aussi bien que ses frères et sœurs ne serait-il pas l’indice d’une inavouable résistance, d’un désir d’évasion, de désobéissance, qu’il n’a jamais pu se permettre mais qui s’est transmis à Vincent ? Un artiste, n’est-ce pas quelqu’un qui désobéit, qui ne se laisse pas prendre sa liberté, qui envisage le monde très différemment de celui qu’on lui désigne ? Le premier Vincent, celui qui est mort, n’incarna-t-il pas le caractère invivable mais inavouable de la vie de ses parents ? Tableau d’une vie morte, non viable, restant à jamais invisible dans le cercueil à l’image de la vie familiale enterrée ? Le deuxième Vincent, lui, vit, mais ne cesse de s’échapper, même s’il essaie différents métiers pour tenter de gagner sa vie, y compris de devenir pasteur… comme son père ! Il commence à se révolter, à s’échapper, pour ne plus jamais se laisser être rattrapé, lorsque ses parents le mettent en internat, loin de sa famille, symbole de la vie bien cadrée, écrite, qui devra être, elle, réussie on l’imagine. Ne semble-t-il pas visualiser cette désobéissance, cette autre vie, que son père ne peut se permettre, tout en ne disant qu’a minima cette rébellion, en tant que pasteur déclassé ? Vincent l’artiste de plus en plus asocial, clochardisé, puant, se met à incarner ce que repousse une société bien propre, bien morale, bien réussie mais partagée entre les prédestinés et ceux qui ne le sont pas, il semble exciter toutes les répulsions, et tout faire pour que les membres de sa famille aient honte de lui. Mais comme pour implorer de ne pas avoir honte de désirer une autre vie, au contraire la dessiner, en peindre les couleurs, ou en tout cas peindre la violence intérieure qui est faite à l’être qui envers et contre tout veut sa liberté.

Théo, dans ce texte, apparaît comme le frère que la partie réussie de la famille du père accepte. Mais presque comme une faveur qui est faite à la partie déclassée de la famille. Théo, même s’il s’occupe d’une galerie d’art, est lui aussi frappé par le déclassement. Tandis que lui-même sans doute peine à se hisser à la hauteur de l’oncle riche, voici que son frère Vincent, de plus en plus, fait perdurer dans le visible l’échec et la honte de cette branche obscure de la famille, mais pour gagner autrement, en portant à maturité, à la gloire, à sa signature, son œuvre, peinte avec l’énergie vitale qui se concentre au rythme de la résistance. Ils sont dans le même bateau, les deux frères. Théo, qui s’emploie à oublier la triste vie familiale, doit réparer l’image de son père auprès de sa famille riche, et en même temps, il doit porter à bout de bras le membre le plus asocial de sa famille déclassée à lui. C’est le grand écart. La syphilis, qu’ils attrapent tous les deux, semble dire qu’ils ne peuvent pas vraiment échapper à leur pauvre sort. Qu’un peu de chaleur, d’humanité, c’est auprès des prostituées déclassées qu’ils sont tous deux allés chercher ça, Vincent ayant d’ailleurs entraîné Théo !

Mais Vincent, en ne cessant de résister à tout ce qui chercha à le socialiser, non seulement n’a pas laissé la honte familiale de n’être pas du côté des prédestinés être refoulée, mais au contraire il l’a rendue de plus en plus visible, pour qu’on voit bien le clivage violent entre les pauvres et les riches ! C’est la révolte face à ce partage qui fait chuter tant d’humains qui lui fait de mieux en mieux trouver l’énergie et l’inspiration pour arriver à dessiner, puis à peindre, autre chose, mais d’abord cette tension intérieure de résistance et de vie frémissante. Peindre justement l’extrême tension intérieure qui habite les êtres que la société s’obstine à vouloir mettre dans le cadre rigide de la soumission à un sort résigné. La pulsion de vie déforme de l’intérieur les personnages, donne de la couleur, à mesure que la résistance gagne.

L’auteur se pose la question de qui a volé la gloire de Vincent Van Gogh, en pensant bien sûr que, peut-être, le coupable est son frère Théo, qui n’aurait pas vraiment promu l’œuvre de son frère dans sa galerie d’art. Mais cette œuvre, peut-être avait-elle à atteindre son style et sa maturité, et même sa vérité intérieure, au travers d’une résistance folle, tragique. Une vérité familiale, mais portée par l’artiste ! Les deux frères en sont morts.

In extremis, Théo a pu se marier, deux ans avant sa mort, alors que la syphilis a déjà fait beaucoup de dégâts sur sa santé. Et, curieusement, à travers le prénom de son fils, Vincent-Willem, il semble donner raison à son frère ! Car celui-là, nous imaginons qu’il a pu vivre de la peinture du deuxième Vincent-Wilhem qui, lui, a dû descendre en enfer pour pousser à sa maturité, et à sa signature son oeuvre ! Les deux frères, Théo et Vincent, nous semblent avoir donné leur vie pour que ce troisième Vincent-Wilhem, lui, puisse vivre de l’art, installé du côté riche de la famille ! L’histoire ne doit-elle pas se lire sur trois générations ? Et ce livre le permet, même si l’auteur semble avoir mené son investigation d’une toute autre manière…

Alice Granger Guitard



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